Sapeurs-pompiers, la passion et la vocation portées à l’extrême, dépositaires des valeurs atemporelles humanistes

Entretien avec

Pierre Niney, Acteur

Dans «Sauver ou périr» de Frédéric Tellier, sorti en 2018, Pierre Niney incarne un sapeur-pompier de Paris, Franck Pasquier dont la vie va basculer après un incendie.

En 2018, vous interprétez Franck Pasquier, chef d’agrès à la BSPP, victime d’un accident en service commandé, qui tout en sauvant ses hommes des flammes, voit sa vie basculer. Lorsque Frédéric Tellier vous a proposé ce rôle, avez-vous hésité ?

Dès la lecture du scénario, j’ai été bouleversé par la trajectoire de ce jeune homme dont la vie apparaît sans nuage avant que tout ne bascule en une seconde. D’emblée, mon âme était touchée et c’est indispensable pour que je rentre dans la peau d’un personnage et qu’il m’habite pleinement. Et chers de la confiance que je porte à Frédéric Tellier, l’histoire de cet homme a immédiatement devenu mienne.

Le rôle de Franck dans «Sauver ou périr» est très particulier et j’en suis très fier. Il a été pour moi très intime et personnel dans l’interprétation.

Quelle image aviez-vous des sapeurs-pompiers avant ce film ?

Lorsque j’étais enfant, je n’ai jamais rêvé de devenir sapeur-pompier. Je me voyais plutôt pilote ou joueur de basket. Bien sûr, j’avais d’eux, comme la plupart des gens je pense, une admiration sans borne. Mais une image très positive, comment pourrait-il en être autrement ? Mais je crois que tant que l’on s’immerge pas totalement dans cet univers, on ne peut pas toucher à la réalité. Pour ma part, je voulais incarner ce personnage en étant à 200 %, me jeter dans les histoires corps et âme. C’est ce que j’ai fait.

Je crois que toutes celles et ceux qui ne vivent pas intensément au cœur des missions de nos sapeurs pompiers, et qui conservent d’eux une vision très positive, n’ont que très peu conscience de la réalité, du danger, l’intensité de leur engagement et de leur immense courage. Il en va de même au cinéma en approche, on est dans un état qui ne permet pas vraiment d’aller plus loin que la surface des choses et de comprendre à quel point ce qu’ils font est extraordinaire.

Vous avez passé plusieurs mois en immersion auprès des sapeurs-pompiers. Certains épisodes vous ont-ils particulièrement marqué ?

Chaque tournage est un nouvel apprentissage pour moi. C’est toujours une aventure très intime. Je découvre à la fois des choses sur moi et sur les autres. Si certains tournages donnent des leçons de vie, celle-ci est particulièrement forte. Sur le tournage et en amont, pendant toute la durée de préparation du film, j’ai ainsi appris à quel point la vie était précieuse. Ce qui est proprement hallucinant, c’est que pour les sapeurs-pompiers, c’est surtout la vie des Autres qui est précieuse. Vous rencontrez des femmes et des hommes parfois très jeunes, qui ont 17, 18, 19 ans à peine, qui placent leur mission et leur devoir au-dessus de leur propre vie, y compris en veillant à se protéger les uns les autres. C’est aussi une autre vision de la hiérarchie et de l’organisation.

C’est une hiérarchie qui est à la fois une figure maternelle et paternelle, faite de bienveillance. Les ordres ne sont pas arbitraires. Ils visent à organiser, anticiper les risques, à sauver des vies et à tout faire pour que le secteur ramène l’ensemble de l’équipe saine et sauve.

J’ai été profondément marqué par l’incroyable altruisme, l’empathie, la discrétion, de toutes et tous, ces valeurs qu’ils incarnent, qu’ils portent au plus profond d’eux et qui sont à l’opposé de cette société, il faut bien l’avouer, très individualiste.

Ils ont une capacité à affronter des situations terribles, en restant debout et dignes, quel que soit leur âge. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas d’émotions, ni de souffrance mais que domine en eux l’aide à autrui.

Un soir, nous sommes intervenus sur une tentative de suicide. C’est le genre d’événement qui vous sort de votre quotidien.

Lorsque l’on part avec eux en pleine nuit sur des cas très lourds, qu’il s’agisse de tentatives de suicide ou d’accident de deux roues, la vie n’est plus la même lorsque l’on a vu cela. Ils sont comme nous, profondément humains et se prennent les émotions en pleine figure. Pourtant, ils n’abandonnent pas, ne se résignent pas et ne cessent jamais de croire en leur mission.

Cette expérience a-t-elle modifié la vision que vous aviez d’eux ?

Les trois mois passés en immersion auprès des pompiers de la BSPP, mes entraînements avec eux, la vie dans les casernes, les départs en intervention avec eux, puis les rencontres avec des personnes aux trajectoires très différentes et aussi avec des grands brûlés, dont parfois des anciens pompiers bouleversent nombre d’idées reçues ou plutôt détruit les clichés que vous pouvez imaginer dans votre petite vie bien tranquille.

Parallèlement, la rigueur des pompiers m’a tout de suite plu. J’ai participé à des entraînements, porté le matériel, je suis monté à l’échelle, je suis sur la fameuse planche à 2,40 m du sol, que l’on appelle symboliquement : « la base ».

J’ai rencontré parfois des gens très jeunes et pourtant d’une extrême maturité avec des personnalités très intéressantes, qui sur des questions essentielles telle que la vie, la mort, la fragilité de nos vies à tous, ont déjà une sagesse et un recul très impressionnants.

Si Franck est blessé au feu, et quoi que les pompiers soient bien évidemment des soldats du feu, ils partent sur des interventions très différentes. Ils sont notamment dans de nombreux cas mobilisés autour du secours aux personnes. Où qu’ils interviennent, quelle que soit la personne à qui ils viennent en aide, ils font toujours preuve d’une empathie extraordinaire, sans jamais porter de jugement de valeur.

Sapeur-pompier, c’est un métier de passion, une vocation portée à l’extrême avec le sentiment que cela ne s’apprend pas, qu’on la porte dès la naissance presque, qu’elle fait partie d’eux.

L’univers que j’ai découvert est en réalité très méconnu et très codifié, sachant que tous ces codes sont là pour porter secours et sauver en un minimum de temps. Plus encore, il y a eu un avant et après le film, et les rencontres avec le public dont certains pompiers.

Très factuellement je ne connaissais pas du tout leur univers. J’ai été impressionné par la force de ces femmes et hommes, dépositaires de valeurs atemporelles, profondément humanistes, plaçant leur devoir au-dessus de leur vie.

Le film est-il avant tout un hommage aux sapeurs-pompiers ou aussi une histoire d’amour et de résilience ?

Les femmes et les hommes se façonnent au gré de leurs histoires personnelles. J’ai été très ému par l’histoire et bouleversé par la préparation qu’on m’a demandé de film, tout autant que par mes rencontres avec le public. Au-delà des pompiers ou des soignants, il y a eu communion, une émotion commune et universelle, autour de chacun, moi le premier, s’est retrouvé dans sa capacité à surmonter les épreuves qu’impose fatalement la vie.

L’une des grandes questions du film porte aussi sur l’identité. Qui est-on vraiment ? Cette question a une portée universelle car tout le monde s’interroge sur son identité, ses valeurs, le regard que les autres portent sur lui et comment on se voit soi-même. Selon moi, l’accident n’a pas entraîné une perte d’identité de Franck. Bien au contraire, il a prouvé qu’il était et s’est rapproché de l’essentiel.

C’est un hommage à toutes celles et ceux qui parviennent à trouver la force de se relever, y compris très souvent grâce à l’Amour que l’on porte mais aussi à celui que vous porte ceux qui vous entourent. C’est donc aussi un hymne à l’amour, à la vie, à la résilience, à la puissance des liens humains.

C’est aussi précisément, ce que j’ai découvert au sein des sapeurs-pompiers, des liens humains profonds, d’une puissance inouïe, dans la capacité à aider les autres, l’esprit de corps, une idée très prégnante de la famille, au sens strict mais aussi comme une appartenance à une grande famille qu’est celle des sapeurs-pompiers. J’ai aussi été très ému par l’ambiance particulière dans les casernes : là, où logent certains d’entre eux. Les enfants jouent dans la cour pendant que leurs parents partent en intervention. Ce ne sont pas des surhommes, des demi-dieux, ce sont des humains, de chair et de sang, ce qui à mon sens donne encore plus de force à leur engagement.

C’est l’un des films qui m’a le plus marqué, qui a laissé une empreinte indélébile dans mon cœur. Il m’a regardé a changé sur une multitude de sujets. Celui que je pose sur les autres est différent, que ce soit sur les aidants en situation de handicap ou les jeunes enfants, sur les risques très lourds et péjorants affrontés et à affronter, ou sur les sapeurs-pompiers, dont certains ont été à un mètre de moi, et ne sont plus là aujourd’hui parce qu’ils ont passé une porte ou gravi un escalier qui portait en eux toutes les questions du monde.

Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux sapeurs-pompiers ?

J’ai envie de leur dire qu’ils ne changent rien, qu’ils sont les dépositaires de valeurs qui trop souvent se perdent, que je regrette que leur engagement tellement puissant au profit de la société, soit trop méconnu, qu’ils méritent davantage de reconnaissance et que quant à moi, je suis fier d’avoir pu les servir à ma petite mesure en incarnant l’un des leurs et en portant par la même ces valeurs humaines d’empathie et d’altruisme, en un mot résolument tournées vers la vie, qu’ils incarnent de façon si intense.

Pierre Niney étant en tournage durant plusieurs mois, et se glissant dans la peau d’Edmond Dantès pour une nouvelle version cinématographique du chef-d’œuvre d’Alexandre Dumas le Comte de Monte-Cristo, réalisé par Mathieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, il n’a pas été en mesure de répondre à notre demande d’interview. Cet entretien est donc une synthèse des différentes réponses qu’il a données dans de multiples et nombreux médias.