Stratégie décennale : les nouveaux horizons de la lutte contre les cancers

Entretien avec

le Professeur Norbert Ifrah, Président de l’Institut National du Cancer

Pilote et garant de la bonne mise en œuvre de la stratégie décennale de lutte contre les cancers, le Pr Norbert Ifrah, Président de l’Institut National du Cancer, dresse le premier bilan d’une feuille de route ambitieuse et des prochains défis à relever.

L’année 2023 a marqué une année charnière dans la mise en œuvre de la Stratégie décennale de lutte contre les cancers. Quelles en ont été les étapes majeures ?

Avant tout, il est important de rappeler que nous bénéficions, dans notre pays, d’une Stratégie de lutte contre les cancers qui s’inscrit dans le temps avec un déploiement sur 10 ans. Cette temporalité est précieuse, car elle implique durablement les acteurs et autorise des transformations en profondeur.

Proposée par l’Institut National du Cancer au Président de la République qui l’a officiellement lancée en février 2021, sa finalité est de réduire le poids de la maladie dans le quotidien des français. Cette stratégie qui ne compte pas moins de 237 actions bénéficie d’un soutien à la hauteur de ses ambitions avec un budget global de 1,74 milliard d’euros pour les 5 premières années.

Un budget abondé par nos tutelles, les Ministères en charge de la Santé et de la Recherche, l’ONDAM hospitalier (Objectif national des dépenses d’assurance maladie) et une mobilisation d’une partie des fonds propres de l’Institut National du Cancer à hauteur de 57 millions d’euros.

La Stratégie décennale, dont l’Institut National du Cancer est le principal pilote du déploiement, n’est par ailleurs pas figée. Elle évolue pour tenir compte des connaissances acquises ou des carences identifiées au rythme de l’avancée des différents travaux.

Pourriez-vous en dire davantage sur les actions emblématiques de l’année 2023 ? Ont-elles bénéficié à l’ensemble des champs de la cancérologie ?

L’année 2023 a effectivement marqué une étape importante. D’une part, la première feuille de route 2021-2025 est arrivée à mi-parcours et déjà 177 actions sur 237 ont d’ores et déjà été engagées, soit près des trois quarts.

D’autre part, de nouvelles mesures annoncées fin 2022, toutes ayant pour objectif d’accélérer les progrès dans la lutte contre les cancers, ont été lancées. L’une des plus emblématiques est la nouvelle feuille de route « Priorité dépistages », qui vise à contribuer à diminuer l’incidence, la gravité et la mortalité des cancers en France.

Les dépistages des cancers, proposés aux populations asymptomatiques et sans facteur de risque, sont encore insuffisamment mobilisés par les personnes concernées et la participation doit être favorisée pour améliorer la détection précoce des cancers.

Parallèlement, un nouvel élan a été donné à la lutte contre le tabac, premier facteur de risque évitable de cancers, avec le lancement, en novembre 2023, du Programme national de lutte contre le tabac 2023-2027. Son ambition est de bâtir, conformément aux orientations de la Stratégie décennale, la première génération sans tabac d’ici à 2032.

De nombreuses autres actions significatives avaient également été annoncées dans les domaines de la recherche et de l’amélioration des soins des patients atteints de cancers de mauvais pronostic, comme le cancer du pancréas, du poumon ou encore du système nerveux central.

Elles se sont d’ores et déjà traduites par la création de centres de recherche intégrée d’excellence sur les cancers de l’enfant et par la labellisation de réseaux d’excellence clinique qui leur sont dédiés.

Ces améliorations témoignent toutes de l’engagement collectif des acteurs de l’écosystème de la santé et de la recherche autour de l’Institut pour donner corps aux actions de la Stratégie qui connaît déjà un état de déploiement très satisfaisant.

Fort de ces diverses avancées et des mesures déjà bien engagées, comment travaillez-vous à l’évaluation de mi-parcours de cette première feuille de route (2021-2025), à un an de son échéance ?

La loi du 8 mars 2019 confie l’évaluation à mi-parcours de la Stratégie décennale à l’Institut National du Cancer et prévoit que son conseil scientifique international en réévalue la pertinence.

Nous sommes, en 2024, dans une phase d’évaluation intermédiaire qui nous permettra de capitaliser sur les enseignements de cette première période afin d’orienter au mieux les actions futures et de se mettre en ordre de marche pour préparer la seconde feuille de route pour 2026-2031.

Cette évaluation, réalisée en lien avec l’ensemble de nos partenaires, devra nous permettre de mesurer l’impact des actions déjà menées, d’identifier celles arrivées à leur terme et les éventuelles suites à donner. Ce sera également l’opportunité, le cas échéant, de réformer, réorienter ou créer de nouvelles actions.

Nous devrons également identifier les principales avancées, mais aussi les limites qui ne nous auraient pas permis d’atteindre les objectifs fixés. Grâce à cette évaluation, nous devrons être en capacité de nous projeter dans l’élaboration de la seconde feuille de route, en 2031, atteindre les objectifs ambitieux que nous nous sommes collectivement fixés.

Quels seront, pour les deux prochaines années, les enjeux de cette Stratégie décennale ?

Tout d’abord, nous poursuivrons le déploiement des actions de la Stratégie décennale. Il ne peut y avoir de rupture pendant l’évaluation.

À l’issue du bilan intermédiaire, nous débuterons le travail d’élaboration de la seconde feuille de route pour la période 2026 – 2030.

Celle-ci s’appuiera sur une phase de réflexion menée au sein des instances de l’Institut National du Cancer, avec la concertation avec l’ensemble des partenaires et des parties prenantes ainsi que d’une réflexion prospective avec l’ensemble des pilotes. Elle fera l’objet d’échanges réguliers avec les ministères de tutelle.

Les instances de l’Institut National du Cancer aussi seront consultées pour apporter leur contribution.

L’année 2025 sera donc consacrée, en plusieurs étapes, à la définition de cette seconde feuille de route et à son cadrage budgétaire. Ces deux échéances en sont essentielles pour préparer la réussite de la seconde partie de la Stratégie décennale.

Portée par le Président de la République, elle est un formidable élan pour le domaine de la cancérologie et un espoir pour chacun de nos concitoyens. Tous les acteurs engagés, aux côtés de l’Institut, dans la lutte contre les cancers, œuvrent au quotidien un engagement collectif constant au bénéfice de tous.