ESS, bilan et perspectives : vers un nouvel élan

Entretien avec

Jean-Baptiste Bernard, Secrétaire général du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, ancien chef du pôle économie sociale et solidaire et investissement à impact de la direction générale du Trésor

« En 2014, l’ESS a obtenu sa reconnaissance nationale qui se mue désormais en reconnaissance internationale, notamment pour son rôle dans l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD). En 2024 au niveau national, il conviendra de concentrer nos efforts sur son développement. »

Pouvez-vous rappeler les missions et la genèse du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire dont vous êtes secrétaire général ?

Institué en 2006, le Conseil Supérieur de l’Économie Sociale a été modernisé par la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (dite « loi ESS ») et devient le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire en élargissant son champ d’action. Il s’agit d’une instance consultative placée auprès du ministre en charge de l’économie sociale et solidaire et qui a pour mission de contribuer à la promotion de l’économie sociale et solidaire et de ses valeurs.

L’ESS, (associations, coopératives, mutuelles et sociétés commerciales de l’ESS), constitue un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine. Elle concilie utilité sociale, solidarité, performance économique et gouvernance démocratique. Elle s’inscrit dans un cadre juridique reconnu par l’État, et possède des qualités d’expérimentation, d’innovation et d’agilité.

Le Secrétariat général du Conseil Supérieur est assuré par la Direction Générale du Trésor, en particulier par le chef du Pôle Économie Sociale et Solidaire et Investissement à Impact (PESSII).

Vous étiez également chef du pôle économie sociale et solidaire et investissement à impact de la direction générale du Trésor jusqu’au 9 octobre dernier. Quels sont ses champs d’action ?

Le Pôle Économie Sociale et Solidaire et Investissement à Impact (PESSII) est intégré au Service du Financement de l’Économie de la Direction Générale du Trésor. À ce titre, il contribue à la réalisation des missions du Trésor, c’est-à-dire d’enrichir et d’animer le cadre de l’ESS et de la finance solidaire, et, directement d’Emmanuel Moulin, Directeur Général du Trésor.

Présentement, le PESSII entretient d’une part un lien régulier avec l’écosystème de l’ESS au niveau des territoires, au niveau national et international et d’autre part, développe des outils de financement spécifiquement adaptés aux besoins et caractéristiques des acteurs de l’ESS.

Par ailleurs, le PESSII coordonne le réseau des correspondants régionaux de l’ESS présents dans les préfectures, contribue à la reconnaissance internationale dans les instances multilatérales, dans les relations bilatérales avec certains États et institutions de soutien à l’ESS, et anime les instances nationales consultatives, parmi lesquelles le Conseil Supérieur de l’ESS ou le Conseil Supérieur de la coopération.

L’ESS étant avant tout un mode d’entreprendre, c’est tout naturellement que l’administration en charge du développement se trouve au sein de Bercy. Son développement se joue sur deux plans : d’une part, la dimension interministérielle de l’ESS qui est par essence présente et la dimension sociale qui comprend les aspects d’utilité sociale et d’insertion professionnelle et économique.

Dans cet échelon spécifique au niveau européen d’avoir réuni dans la même équipe la relation avec l’économie sociale, la finance à impact, la connaissance des acteurs et des difficultés, et se positionner sur la construction de solutions de financement qui apportent des solutions pour leur développement.

Quel est aujourd’hui le poids de l’ESS en France ?

On a coutume de dire que l’ESS représente plus de 10 % du PIB même si c’est plutôt 9,5 % et qu’elle n’a pas subi autant de pertes que le reste du tissu économique social avant tout local. Le panorama de l’économie sociale et solidaire fait à ESS France en juin 2022 met en lumière ce qu’est l’ESS aujourd’hui.

Ce sont près de 213 000 établissements employeurs et 2,9 millions de salariés représentant 9,7 % des emplois. L’ESS c’est donc un peu plus de 3 millions d’emplois salariés et 22 millions de bénévoles. 57 % de ces emplois sont concentrés dans le secteur associatif, 30 % dans le secteur coopératif et 13 % dans le secteur mutualiste. Les emplois de l’ESS se répartissent à 59,8 % dans les services sociaux et médico-sociaux, 18,1 % dans les arts et spectacles, 13,9 % dans les activités financières et d’assurance, 7,9 % dans l’éducation et la formation, 0,3 % dans l’industrie et 0,1 % dans l’agriculture.

Du côté des financements, en 2022, la finance solidaire a collecté via l’épargne salariale, l’assurance vie ou l’épargne bancaire la somme de 26 Mdard’ (d’après le baromètre de la finance solidaire publié par FAIR et France Active en mars 2023).

Cela représente par rapport à 2021, une augmentation de 6,7 % et se traduit également par une forte progression de l’investissement solidaire de 10,6 %. Sur les 26 Mdard’ d’encours, 15,8 sont issus de produits d’épargne salariale, 6,5 de l’épargne bancaire et 3,7 de l’assurance vie. La finance solidaire représente 0,5 % de la finance en France alors qu’elle représente 1 % des entreprises de l’ESS en leur apportant ces capitaux patients.

Quel état des lieux faites-vous du développement de l’ESS en France depuis la loi de 2014, qui lui conférait un véritable statut ?

La loi ESS a reposé les priorités structurantes à l’ensemble des familles de l’ESS : reconnaissance, structuration et son développement.

Concernant la reconnaissance, la grande force de cette loi a été d’intégrer l’ESS dans le champ des politiques publiques, de la structurer par la loi et de lui donner une définition commune à l’ensemble des entreprises qui la composent : mutuelles, les associations, les coopératives et les fondations, mais aussi les sociétés commerciales ayant fait le choix de l’utilité sociale. Par ailleurs, sur l’impulsion de la loi ESS, la plupart des régions ont créé, avec le réseau des DREETS régionales, une gouvernance partagée entre les préfets de région et les acteurs eux-mêmes afin de prendre en compte les besoins de l’ESS dans les modalités d’action publique.

Le cadre français mis en place a ainsi inspiré la définition de l’ESS au niveau européen, nous retrouvons dans les textes européens les recommandations du Conseil de l’Europe de 2022 (Organisation Internationale du Travail OIT) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en avril 2023. Le lien s’est aussi fait au niveau international dans les travaux de l’ONU et dans les membres et la recommandation du Conseil de l’Union Européenne adoptée début octobre.

Cette loi a permis de garantir toujours de structurer et fidéliser les acteurs de l’ESS, afin d’homogénéiser le développement. En outre, elle a contribué à conforter les financements vers les entreprises de l’ESS : fonds de financement de l’innovation sociale, création de la société de gestion à impact, le fonds d’évaluation des entreprises de l’ESS, et enfin la création des Contrats à Impact (anciens Contrats à Impact Social) qui permettent aux acteurs de bénéficier de soutiens publics et privés sur la base d’objectifs sociaux et environnementaux quantifiables (SPASER).

Lors de l’évaluation menée par le CESE à l’occasion du dixième anniversaire de cette loi, les acteurs ont cependant regretté
un développement trop lent de l’ESS.

Quels sont les freins à son développement ?

Le développement de l’ESS se heurte d’abord à des difficultés dans l’accès aux financements publics et privés qui résultent souvent d’une méconnaissance des spécificités des modèles économiques de ces structures. Les entreprises de l’ESS apparaissent fréquemment comme insuffisamment rentables ou trop risquées, alors que certaines études économiques montrent que leurs taux de défaillance sont généralement inférieurs à ceux de l’économie conventionnelle. De même, les dispositifs de soutien ou financement public ne sont pas toujours adaptés aux particularités juridiques des structures de l’ESS. Par ailleurs, certaines solutions aux freins rencontrés peuvent provenir des acteurs eux-mêmes. En effet, l’accès à certains marchés publics ou financements nationaux ou européens nécessitent l’atteinte d’une taille critique.

Jugées souvent trop petites, les structures de l’ESS pourraient pourtant apporter des solutions aux défis rencontrés. Cela impose la structuration d’acteurs de l’ESS en filière ou l’élaboration de partenariat avec des entreprises de l’économie conventionnelle, ce qui est souvent parfois difficile par le caractère essentiellement local des activités de l’ESS.

Pour autant, grâce à la reconnaissance de l’ESS et notamment de ses apports pour répondre aux défis des transitions écologiques et sociales, une attention particulière est donnée pour l’intégrer dans les dispositifs de financement public.

Le soutien de l’État au développement de la plateforme « ESS 2024 » qui vise à favoriser l’accès des entreprises de l’ESS aux marchés liés à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ou des travaux menés pour mieux intégrer les acteurs de l’ESS au Plan d’investissement « France 2030 » et doté de 54 Mrd€ illustrent que des signaux sont au « small is beautiful ».

Quels sont aujourd’hui vos priorités pour qu’elle prenne un nouvel élan ?

En 2014, l’ESS a obtenu sa reconnaissance nationale qui se mue désormais en reconnaissance internationale, notamment pour son rôle dans l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD).

En 2024 au niveau national, il conviendra de concentrer nos efforts sur son développement. Conformément aux axes prioritaires que nous a donnés la Ministre, nous travaillerons à amplifier les financements destinés à l’amorçage et à la croissance des structures de l’ESS, à travers l’accroissement de la finance solidaire, la finance à impact, les contrats à impact, ou encore l’attractivité de l’agrément ESUS ou encore la mobilisation des fonds européens.

Au niveau des territoires, nous chercherons à rendre l’accompagnement des structures de l’ESS plus efficace et plus adapté aux défis locaux. Enfin, nous contribuerons à la diffusion des bonnes pratiques de l’ESS vers l’économie conventionnelle, ce qui implique de renforcer les liens existants entre les acteurs de l’ESS pour les échanges d’expérience et d’autre part d’accompagner l’économie conventionnelle vers davantage prise en compte des aspects sociaux et environnementaux.

C’est en favorisant les ponts entre ces deux économies que nous parviendrons à renforcer le pouvoir transformateur de l’ESS et développer des synergies vertueuses.

N.B. : Jean-Baptiste BERNARD a quitté ses fonctions de chef du PESSII le 9 octobre dernier.