« Au global, avec un chiffre d’affaires d’environ 90 milliards d’euros, le secteur coopératif agricole représente près d’un tiers de l’activité des acteurs de l’ESS. »
Vous présidez le Haut Conseil de la Coopération Agricole. Pouvez-vous nous exposer ses actions et missions ?
Le Haut Conseil de la Coopération Agricole (HCCA) est un établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale. Il agit pour la pérennité et la vitalité du modèle coopératif, avec l’idée d’offrir aux coopératives le meilleur environnement possible pour se développer.
Il contribue à la définition, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques en matière de coopération agricole. Il garantit le respect – par les coopératives agricoles mais aussi par les coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) – des textes, règles et principes d’organisation et de fonctionnement propres au monde de la coopération agricole.
C’est au HCCA que revient le pouvoir de délivrer et de retirer l’agrément aux coopératives agricoles. C’est lui qui définit les principes et les normes de ce qu’on appelle la Révision : l’examen par des « réviseurs » agréés du bon respect des principes et des règles de la coopération agricole. Le HCCA en contrôle la mise en œuvre, notamment dans le cadre de la Révision quinquennale, obligation légale pour les coopératives agricoles.
En France, pas moins de 1900 coopératives agricoles et 11 000 CUMA sont concernées, c’est considérable. Au-delà du nombre, ce sont les valeurs mêmes de la coopération agricole, faites de solidarité, de recherche d’efficacité, de gouvernance équilibrée et d’ancrage dans les territoires, qui sont en jeu.
Les coopératives agricoles sont-elles, selon vous, des acteurs incontournables de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) ?
Le HCCA assure le suivi de l’évolution économique et financière du secteur coopératif. Il publie chaque année un observatoire qui permet de bien appréhender la performance économique des coopératives agricoles. Au global, avec un chiffre d’affaires d’environ 90 milliards d’euros, le secteur coopératif agricole représente près d’un tiers de l’activité des acteurs de l’ESS.
C’est donc un secteur tout à fait incontournable, au côté des autres composantes de l’ESS comme les mutuelles, les associations, les fondations et d’autres types de coopératives.
Les coopératives facilitent-elles cette démarche économique spécifique ?
C’est dans l’ADN même des entreprises coopératives. Elles sont avant tout un projet collectif au service de chacun des membres, avec le but de répondre au mieux à leurs besoins économiques ou sociaux. La gouvernance d’une coopérative est fondée sur le principe « une personne, une voix », quel que soit le nombre de parts sociales détenues.
Cette gouvernance très spécifique lui permet de s’inscrire dans une approche à long terme des grands enjeux stratégiques, de veiller à sa compétitivité économique tout en assurant un renouvellement constant des générations. Nous avons à cœur au HCCA d’accompagner coopérateurs, administrateurs et cadres dirigeants vers une gouvernance toujours plus harmonieuse et efficace. En juin 2021, nous avons publié un guide des bonnes pratiques de gouvernance. Notre objectif est de l’enrichir au fil du temps, en intégrant, en particulier, les nouveaux enjeux liés aux transitions agricoles durables.
D’autres structures de l’ESS se mobilisent-elles, à leurs côtés, autour de cette question de la transition agricole durable ?
Les coopératives agricoles entretiennent un lien fort avec leurs associés coopérateurs. Elles assurent ainsi une formidable maîtrise de la production agricole et agro-alimentaire. Aujourd’hui, songez qu’elles contrôlent plus de 40% de l’activité agro-alimentaire française, et ce chiffre est en constante progression.
En impliquant de nombreuses parties prenantes dans leurs orientations stratégiques, les coopératives contribuent à structurer les territoires ruraux et participent à la construction de filières agro-alimentaires performantes. Parmi ces parties prenantes, figurent beaucoup d’acteurs de l’ESS, et en premier lieu les mutuelles, les banques et assureurs qui appuient le développement des coopératives sur le long terme.
Notons aussi que les partenariats que peuvent construire les coopératives agricoles avec des associations ou des fondations participent à l’émergence d’un tissu d’entreprises et de structures liées entre elles par les mêmes valeurs. Ce socle est un véritable atout stratégique pour la coopération agricole face à l’ampleur des défis économiques, sociaux et environnementaux.

Quels freins existent encore ?
Il en existe, en effet. Les coopératives agricoles pour s’adapter à l’évolution des besoins et accompagner au mieux les transitions agricoles doivent sans cesse innover, investir et se développer. Or leurs ressources financières sont souvent insuffisantes pour mener à bien tous ces chantiers.
C’est la raison pour laquelle le HCCA cherche à construire un fonds dédié aux coopératives qui leur permettrait de consolider leurs fonds propres trop faibles actuellement pour réaliser des projets à long terme. Des projets dont les retours financiers demandent du temps ! L’autre question majeure est celle des compétences requises pour mener à bien toutes ces mutations en cours.
La génétique, l’agronomie, le numérique, la robotisation, l’alternative aux ressources fossiles, sont de formidables défis collectifs pour les coopératives. Ils nécessitent des profils humains d’excellence, de plus en plus pointus.
Comment préparer les nouvelles générations d’agriculteurs et de salariés à ces évolutions ? C’est un enjeu considérable pour les coopératives agricoles.
À cet égard, je pense que la philosophie même du modèle coopératif est un facteur d’attractivité pour les jeunes talents, qui veulent donner du « sens » à leurs projets professionnels.
Comment le Haut Conseil de la Coopération Agricole accompagne-t-il les coopératives vers l’ESS ?
D’abord il faut rappeler que le HCCA ne porte pas uniquement une vision. Il s’implique au quotidien aux côtés des coopératives. Il contribue au respect des principes coopératifs tout en participant au dynamisme du secteur agricole.
De ce point de vue, le dispositif de la Révision, au travers des 25 réviseurs agréés actifs sur tout le territoire, est un maillage central. Les réviseurs sont les principaux ambassadeurs de notre organisation. Ils jouent un rôle pédagogique extrêmement précieux auprès des dirigeants des coopératives.
Beaucoup de secteurs de l’ESS envient notre organisation et notre fonctionnement. Par ailleurs, le HCCA participe activement aux travaux du conseil supérieur de l’ESS. Il apporte son regard et son expertise sur les grandes thématiques traitées.
Je pense, en particulier, à la transition écologique et à l’emploi. En retour, il se nourrit, bien sûr, de l’expérience des autres. Ces échanges renforcent la coopération entre les différents acteurs de l’ESS.
Quels sont aujourd’hui vos principaux défis sur ces sujets ?
Nous nous reconnaissons pleinement dans les valeurs défendues par l’ESS : la solidarité, la cohésion sociale, l’éthique, le développement durable. Nos jeunes générations, à juste titre, y sont de plus en plus sensibles.
L’ESS doit professionnaliser ses structures pour attirer les talents qui permettront au secteur de renforcer son développement. Nous devons, plus que jamais, dans un monde soumis à de fortes turbulences – aléas des marchés, épidémie, guerres – démontrer que le profit à court terme n’est pas le seul levier pour assurer une croissance durable.
La performance économique de nombreux acteurs de l’ESS en est d’ailleurs la preuve. Et puis, il faut former. De façon beaucoup plus volontariste. La formation est essentielle pour préparer l’avenir. Elle doit être source de motivation et de fidélisation pour les membres des organisations comme pour les salariés. Nous devons développer une culture « apprenante et responsable » qui permettra, collectivement, de relever les challenges de demain.
Comme toujours, les défis humains sont les plus importants. La réussite de l’ESS dépendra largement de sa capacité à accompagner les femmes et les hommes qui, au quotidien, œuvrent à la réussite de cette économie qui croise, de manière nouvelle, humanisme, responsabilité sociale et recherche d’efficacité.
Par son histoire et ses valeurs, la coopération agricole doit être à la fois une inspiration et un relais.






