L’ESPER ou la transmission à la jeunesse des valeurs de l’ESS pour un monde plus juste

Entretien avec

Bertrand Souquet, Président de l’ESPER

Née en 2010, dans la continuité du comité de coordination des œuvres mutualistes et coopératives de l’Éducation nationale (CCOMCEN), l’association ESPER (l’Économie sociale partenaire de l’école de la République), rassemble aujourd’hui près d’une cinquantaine d’organisations de l’économie sociale et solidaire (associations, mutuelles, coopératives et syndicats). Portant les valeurs de l’ESS, qu’elle transmet dès le plus jeune âge, elle agit ainsi dans le champ de l’école et de la communauté éducative, autour de sa promotion en facilitant sa pratique du terrain en milieu scolaire. Dans les faits, l’ESPER porte en elle le projet d’une société résolument inclusive et éthique, ouvrant la voie d’un monde plus juste, qui place l’humain au cœur de toute chose et dont l’ESS est l’un des piliers.

Pouvez-vous nous exposer la genèse et les champs d’action de l’ESPER ?

Si l’ESPER, association de l’Économie sociale partenaire de l’école de la République, est née le 8 décembre 2010, elle s’inscrit dans la continuité du comité de coordination des œuvres mutualistes et coopératives de l’Éducation nationale (CCOMCEN) qui avait été initialement conçu comme un groupement d’intérêt économique, une quarantaine d’années en amont, avec comme objet principal la nécessité de réguler les relations entre ses membres. Ce comité avait été créé en 1972 sur l’initiative de Denis Forestier, alors président de la MGEN et ancien secrétaire général du Syndicat National des Instituteurs. En 2010, l’évolution de cette structure était apparue comme indispensable pour ses membres.

En effet, une nouvelle dynamique, susceptible de lui donner une plus grande visibilité s’imposait afin de rendre plus efficiente la transmission des valeurs de laïcité et d’économie sociale, de participer plus largement aux débats de société, de faire davantage retentir sa voix auprès des instances.

Le comité s’est donc restructuré en renouvelant son attachement à l’École républicaine, avec le souci de davantage mutualiser les compétences autour du bien et d’un projet communs. Le CCOMCEN a donc été dissout tandis que naissait l’association L’ESPER le 8 décembre 2010, avec une approche différente. D’emblée, s’est imposée l’idée d’une promotion de l’éducation par et pour l’ESS, tout autant que de la nécessité de sensibiliser et d’impliquer les jeunes à cette démarche.

Qui rassemble-t-elle ?

Aujourd’hui, l’ESPER rassemble autour d’elle 41 organisations, qu’il s’agisse d’associations, de mutuelles, de coopératives ou encore de syndicats, œuvrant dans l’économie sociale et solidaire, l’éducation, le secteur médico-social, la sensibilisation des jeunes… Le périmètre de l’ancien CCOMCEN a été élargi. Ce collectif rassemble ainsi un ensemble hétérogène de structures et d’organisations, autour d’un projet de société commun, dans lequel l’économie place l’humain au cœur de ses priorités et préoccupations.

Elle mobilise ainsi autour d’elle aussi bien des enseignants que des élèves, des représentants syndicaux, associatifs, de coopératives ou de mutuelles.

Quelles actions majeures a-t-elle menées en un peu plus d’une décennie ?

Notre fil rouge est d’éduquer à l’économie sociale et solidaire grâce à la pratique et à la rencontre. Il a toujours été question de promouvoir son modèle, ses entreprises, ses acteurs en lien avec les valeurs qui nous sont chères, indissociables de notre vision du monde, du présent et de l’avenir que nous voulons construire. Au-delà des mots, plus encore lorsqu’il s’agit de jeunes, il nous incombe de prouver par le concret et l’exemple que cette façon d’entreprendre est viable et qu’elle est une alternative crédible aux autres formes d’économies.

Par là même, nous avons créé une nouvelle dynamique afin de promouvoir notre projet de société en initiant et facilitant notamment des actions concrètes afin de faire entrer pleinement l’ESS dans l’éducation. Nous avons mis en place au fil du temps la plate-forme « Ressourc’ESS », qui est riche d’outils pédagogiques, créés par un comité scientifique, dédiés aux enseignants. Parallèlement, nous avons développé notre projet phare « Mon ESS à l’école », qui permet de mener un projet ESS, de la manière la plus concrète possible, au sein d’une classe ou, plus largement, d’un collectif d’élèves accompagnés par des enseignants.

L’objectif est que les plus jeunes puissent s’immerger, vivre pleinement les valeurs de la République, en participant à un projet collectif et coopératif.

« Mon ESS à l’école » accompagne la communauté éducative et les élèves, qu’ils soient au collège, au lycée, en filière agricole, générale, technologique ou professionnelle, étudiants en maisons familiales et rurales (MFR), en zone rurale ou urbaine, et permet de créer, en classe, une entreprise de l’économie sociale et solidaire.

Par cette démarche, les élèves se confrontent pleinement à la réalité, expérimentent ensemble la prise de responsabilité, deviennent pleinement acteurs d’un projet entrepreneurial, collectif et d’utilité sociale.

En un peu plus d’une décennie, nous avons accompagné des centaines d’enseignants et d’élèves engagés dans des dynamiques comme la « semaine de l’ESS à l’école » ou « Mon ESS à l’école » avec des retours extrêmement positifs.

Quelles évolutions avez-vous pu observer ?

Très concrètement, ont émergé au fil des ans et vu le jour des dizaines de projets intrascolaires en lien direct avec l’ESS, qu’il s’agisse de la création d’épiceries solidaires, d’associations à l’image d’une association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), de boutiques éphémères, de fabrication et de vente de produits responsables ou de coopératives portées aussi bien dans des classes d’écoles élémentaires que dans l’enseignement supérieur et les lycées agricoles.

L’école est sortie des murs et l’économie solidaire est allée à sa rencontre, permettant aux élèves de connaître leur environnement socio-économique, d’appréhender d’autres formes d’entrepreneuriat, de participer à la vie de la société et d’éprouver leur citoyenneté.

Loin de promouvoir des idées abstraites, la démarche ESS a été appliquée et a donné lieu à des réalisations concrètes dans l’ensemble des champs qu’elle rassemble, qu’il s’agisse de la lutte contre les discriminations et les exclusions, la solidarité, ou encore de la protection de l’environnement.

Elle a permis de témoigner de sa capacité à unir autour d’un projet riche de sens.

Quelles sont aujourd’hui ses perspectives ?

Je crois clairement que nous participons activement à la construction d’un nouveau projet de société, à plusieurs niveaux. Les élèves et les étudiants développent de nombreuses compétences à travers ce type de projet. Ils appréhendent le monde économique et professionnel, et le cas échéant se projettent dans leur avenir professionnel. Des vocations naissent tandis que se dessine parfois peu ou prou orientation scolaire et professionnelle.

Il s’agit aussi d’un apprentissage d’un vivre et agir ensemble pour le bien collectif et la société, qui loin d’être inné, s’apprend dès le plus jeune âge.

Les retours d’expérience que nous avons témoignent ainsi d’une véritable émulation autour d’un projet, qui crée l’harmonie et fédère.

Il n’est pas de hasard, si « Mon ESS à l’école » participe d’ailleurs de la démarche et des recommandations des parcours « avenir et parcours citoyen », et nous sommes devenus depuis 2013, partenaire de l’Éducation nationale et du Ministère de l’Économie sociale et solidaire, suite à la signature d’accords-cadres, ce qui a bien évidemment permis de créer de nouvelles dynamiques.

L’ESS porte en elle, hautes en couleurs les valeurs de la République de liberté, d’égalité et de fraternité, en s’immergeant dans ces projets. Son appropriation par l’expérience par les jeunes leur permet de les transmettre autour d’eux.

Les études d’impact que nous menons régulièrement sur le dispositif « Mon ESS à l’école », témoignent combien l’ESS est source d’inspiration pour les jeunes qui l’ont expérimentée, combien ils entendent l’intégrer tant dans leur projet personnel, que professionnel, combien elle a changé leur vision du monde et donné un sens à leur vie en faisant naître en eux la volonté d’aider l’autre, de participer à un projet collectif ou encore de s’engager dans l’entrepreneuriat social.

Plus encore, la pandémie que nous avons traversée est venue témoigner à quel point notre projet d’une société plus solidaire, davantage centrée autour de l’humain, faisait sens.

Elle a fait naître ou révélé de nouvelles aspirations qui embrassent l’ensemble des questions que traverse la société, qu’il s’agisse de la transition écologique, de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’insertion et de la lutte contre les discriminations…

L’ensemble des acteurs de l’ESPER a pris la mesure des enjeux et des défis, qu’ils soient économiques, environnementaux, sociaux, juridiques et démocratiques et s’est adaptée aux mutations immédiates ou à venir.

Nous poursuivons notre mobilisation autour de la construction d’une société éthique, responsable, inclusive qui place l’humain au cœur de toute chose.

Les jeunes portent en eux l’avenir de cette société à laquelle nous aspirons. Il nous incombe à la fois de les accompagner mais aussi de les sensibiliser toujours plus en démultipliant nos actions sur l’ensemble de l’hexagone.

En effet, l’un de nos défis est d’aller à la rencontre de toutes et tous, de mailler davantage encore les territoires, de développer toujours plus de proximité.

La jeunesse d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier. Sa quête d’idéal s’exprime dans des mobilisations massives, telles que nous avons pu notamment les mesurer dans la marche pour le climat.

Qui plus est, les outils numériques et les réseaux sociaux sont sur ces sujets des outils précieux. Si bâtir le monde de demain fait partie de leur responsabilité, ils ne peuvent le faire seuls. Il nous incombe de les accompagner et de les guider.

Telle est l’une des grandes missions de l’ESPER. L’ESS en est un outil essentiel. Nous devons les aider à se l’approprier, à y adhérer, à faire en sorte qu’ils inscrivent pleinement cette approche dans leur parcours de vie.