« La transition écologique sera inclusive ou ne sera pas »

Entretien avec

Laure Coussirat-Coustère, Directrice générale adjointe de l’Adie

« Chaque entrepreneur peut agir en faveur de la transition énergétique en se faisant financer et accompagner, si nécessaire, pour exercer son activité de façon plus responsable en la rendant moins polluante »

Quel est le rapport entre la transition écologique et la création d’entreprise ?

Ce sont les entrepreneurs eux-mêmes qui nous le disent dans une enquête que nous avons menée en juillet 2023. 9 sur 10 d’entre eux estiment avoir un rôle à jouer dans la transition écologique de notre économie et de notre société.

À l’Adie, les conseillers et bénévoles constatent en effet depuis quelques années une évolution des motivations et des aspirations des entrepreneurs qu’ils accompagnent.

En plus de l’envie de gagner leur vie en jouissant d’une certaine autonomie dans l’organisation de leur temps et du désir de vivre de leur passion, ils se lancent de plus en plus souvent pour donner corps à un projet professionnel en accord avec leurs convictions en matière de transition écologique.

Ça veut dire que 9 entrepreneurs sur 10 agissent pour la transition écologique ?

Non. C’est là où le bât blesse. On se rend compte que malgré cette envie, cette ambition, seulement la moitié d’entre eux passent à l’action, essentiellement par manque d’argent et par manque d’information sur ce qu’ils peuvent concrètement mettre en œuvre dans le cadre précis de leur activité.

On voit bien ce que de grandes entreprises ou encore des associations de défense de l’environnement peuvent faire pour la transition écologique mais quel impact peut avoir un petit entrepreneur ?

Il est certain que l’initiative individuelle d’un entrepreneur financé par l’Adie ne va pas suffire à sauver la planète. Mais les indépendants représentent tout de même environ 10% de la population active de ce pays.

Rien qu’à l’Adie, nous en finançons et accompagnons 25 000 par an. Imaginez l’impact cumulé de cette multitude d’acteurs engagés !

Au quotidien, nous sommes témoins du fait que les petits entrepreneurs locaux, qui agissent dans les villes, les villages, les quartiers, pour produire, vendre, ou apporter des services, sont des agents puissants de la transition écologique. Ils ne doivent, en aucun cas, en être les laissés pour compte.

Quel type d’entreprise créent ces entrepreneurs engagés pour la transition écologique ?

Il peut s’agir de créateurs d’entreprises dédiées à la transition écologique. Là je vous parle par exemple de maraîchers bio, d’artisans qui offrent une seconde vie à nos vêtements et accessoires, à contre-courant de la fast fashion, ou encore de créateurs qui fabriquent et commercialisent des alternatives zéro déchet à des produits jetables polluants, comme les couches pour enfants.

Mais il s’agit également d’une myriade de créateurs d’entreprises dans des domaines qui n’ont a priori rien à faire avec le sujet, qui choisissent de réduire les déchets de leur activité, investissent dans du matériel plus durable et écologique, optent pour des fournisseurs responsables et écologiques ou au minimum locaux, font l’acquisition d’un véhicule moins polluant, ou pas polluant comme le vélo-cargo ou encore améliorent la performance énergétique de leur local.

Pour vous donner deux exemples très différents, nous avons financé Iphigénie qui commercialise un boîtier capable de transformer un moteur thermique de voiture en moteur hybride. C’est une véritable innovation, mais trop frugale pour les investisseurs du secteur et il n’y a que l’Adie qui lui ait fait confiance pour déployer son projet qui peut littéralement changer la vie de centaines de milliers d’automobilistes qui n’ont pas les moyens d’acheter une voiture électrique.

Et à l’autre bout du spectre, nous avons financé, Chérif, qui est coiffeur, pour lui permettre de refaire l’isolation de son salon qui était une passoire énergétique.

Donc pas besoin d’une activité en lien avec la transition écologique pour agir en faveur de la transition écologique quand on est entrepreneur ?

Non. Pas forcément. Et c’est vraiment le message que nous voulons faire passer à l’Adie : chaque entrepreneur peut agir en faveur de la transition énergétique en se faisant financer et accompagner, si nécessaire, pour exercer son activité de façon plus responsable en la rendant moins polluante.

L’accélération de la transition écologique est-elle en train de faire évoluer le rôle de l’Adie ?

La transition écologique constitue désormais une dimension pleine et entière de notre mission. Il faut comprendre que toutes ces actions à mettre en place pour la transition écologique, simples en théorie, représentent un coût, parfois insurmontable, pour les entrepreneurs. Dans certains cas, comme avec l’instauration des zones à faible émission (ZFE), ce coût est contraint par le durcissement des réglementations, légitimes au demeurant, et conduit à empêcher la création d’entreprise.

Cela vient heurter notre raison d’être puisque depuis 35 ans nous agissons concrètement pour que nul ne soit empêché de créer son entreprise. Comme il a fallu en prendre acte concernant la transition numérique il y a quelques années, il sera probablement de moins en moins possible d’envisager la création d’entreprise sans y intégrer les enjeux de la transition écologique.

Aujourd’hui, il nous revient de contribuer à ce que la transition écologique soit non un obstacle ou une source de nouvelles inégalités mais une opportunité pour l’initiative économique, qu’elle soit inclusive et enthousiasmante pour les entrepreneurs.

Et concrètement, que met en place l’Adie pour accompagner les petits entrepreneurs à la transition écologique ?

Nous proposons systématiquement aux porteurs de projets un accompagnement sous forme de diagnostic, de conseil et de formation : pour le choix du modèle économique le plus durable, la connaissance des réglementations et l’accès aux dispositifs d’aides publiques. Les entrepreneurs peuvent réaliser un diagnostic de leur activité, s’interroger sur les choix qui s’offrent à eux : choix des fournisseurs, cycle de vie de leur produit, mobilité professionnelle, marketing.

Ce sont autant d’occasions de faire un pas, fût-il petit, pour que leur modèle soit le plus durable possible. Les entrepreneurs peuvent également assister à des ateliers collectifs, ou encore utiliser des fiches thématiques par métiers (bâtiment, restauration, commerce).

Pour répondre au frein financier nous avons créé un prêt d’Apport en Capital pour la Transition Énergétique (PAC-TE), qui vient, pour couvrir le surcoût écologique, compléter le microcrédit ordinaire de l’Adie. Il a vocation à donner aux petits entrepreneurs accompagnés, un accès à des outils de travail plus écologiques et notamment à des véhicules autorisés à circuler dans les Zones à Faibles Émissions (ZFE).

Nous avons aussi développé, en partenariat avec des acteurs financiers et du secteur automobile, des offres destinées à rendre accessible au plus grand nombre possible d’entrepreneurs des véhicules moins polluants.

N’existe-t-il pas des aides publiques pour aider les entrepreneurs à passer à des véhicules moins polluants ?

De nombreuses aides à la transition écologique existent pour les grands groupes, les PME voire les TPE, mais la plupart sont peu adaptées et de facto inaccessibles aux travailleurs indépendants comme ceux que l’Adie accompagne. Et quand elles existent, elles leur sont insuffisamment connues.

C’est pour ça que l’Adie informe les entrepreneurs qu’elle accompagne des dispositifs qu’ils peuvent saisir.

Et c’est pour ça également qu’elle plaide sans relâche pour que les aides publiques à la transition écologique ciblent enfin les personnes et les entrepreneurs qui en ont le plus besoin, et soient calibrées de façon à leur donner effectivement accès à des véhicules et du matériel leur permettant de vivre et travailler en conformité avec les normes écologiques.