ANACT : Quand Qualité de vie au travail rime avec qualité du soin

Entretien avec

Matthieu PAVAGEAU, Directeur technique et scientifique – ANACT

Alors que la crise sanitaire a fait éclater au grand jour à la fois le rôle majeur des métiers du sanitaire et social, mais aussi leur fragilité, à l’heure où plus que jamais ce secteur est en tension, des prises de consciences s’opèrent enfin. Veiller à la Qualité de vie au travail de ces professions va de pair avec la qualité des soins pour les usagers. L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) est mobilisée au niveau national et sur le terrain.

Pouvez-vous nous rappeler les missions de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail ?

Créée en 1973, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) est un établissement public administratif placé sous la tutelle du Ministère du Travail. Dès sa création, ses missions se sont articulées autour de l’amélioration des conditions de travail, qu’il s’agisse de l’organisation ou des relations professionnelles, ce sous l’ensemble des territoires. Il est en effet important de souligner l’importance du réseau Anact-Aract, qu’elle pilote.

Les Aract, associations de droit privé administrées de manière paritaire et financée par l’État, les régions et des ressources propres, permettent ainsi par leur ancrage local d’être au plus près du terrain. Elles travaillent avec le niveau national pour notamment décliner les axes des politiques publiques concernant le travail, la santé et l’emploi, et sont par là même en mesure d’aider les entreprises à améliorer les conditions de travail des salariés. Elles accompagnent bien évidemment non seulement les entreprises, prioritairement les petites et moyennes mais aussi les structures du secteur sanitaire et social.

Dans les faits, l’ANACT et son réseau captent les évolutions du travail en termes de demande sociale, voire sociétale des entreprises. Les retours d’expériences, les résultats obtenus dans le cadre de projets-pilotes menés auprès des entités et entreprises, leur permettent de capitaliser, d’expérimenter, de concevoir puis de diffuser des méthodes et outils adaptés aux situations à l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des salariés, de leurs représentants, des directions et de tous les acteurs intervenant dans le monde de l’entreprise.

L’objectif est un développement de compétences, qui concilie durablement qualité de vie au travail et performance économique, sociale, environnementale. Pour faire court, il s’agit de permettre au salarié de mener à bien ses missions dans les meilleures conditions possibles, sachant que preuve est faite depuis longtemps que l’on est beaucoup plus performant lorsque l’on peut réaliser un travail que l’on juge de qualité.

À quelles problématiques êtes-vous confronté dans le secteur du Social et Médico-Social, qu’il soit public ou privé ?

Les problématiques telles que celles liées à la pénibilité et l’usure au travail, aux difficultés relationnelles avec les usagers, les résidents, les familles ou encore l’équipe, qui fatalement peuvent déteindre sur la qualité de services.

Les problématiques liées aux ressources humaines, ou à leur absence, de turnover, d’absentéisme, de manque de coordination et de coopération sont des maux sous jacents. Elles portent en elles de vraies questions en termes d’organisation, de mode de management, de gestion des risques, qui doivent permettre d’aboutir à une politique de management à même de créer des conditions de travail soutenantes et responsabilisantes.

L’ANACT sur ces sujets a bien évidemment été partie prenante dans le Ségur de la Santé et apporté des recommandations avec un axe fort concernant l’articulation des différents systèmes (de travail, d’information, de gouvernance etc.) qui définissent le travail.

Il s’agit de s’intéresser à la façon dont les établissements travaillent leurs projets d’évolution du travail, qu’il s’agisse de l’organisation, des outils numériques ou technologiques, de savoir s’ils les font de façon concertée avec les professionnels, comment ils identifient et développent les moyens habiles pour le faire, ménager un temps de dialogue, et d’échange, et par là générer de la reconnaissance et du sens.

Senior Male Patient Working With Physiotherapist In Hospital

Quelles en ont été les évolutions ?

L’ANACT n’est pas dans le registre de l’évaluation des politiques publiques mais mène un programme depuis 7 ans aux côtés de certains établissements du secteur du Social et Médico-Social. Nous sommes ainsi dans l’évaluation interne, qui permet d’apporter des témoignages quant aux évolutions des démarches et pratiques des établissements et sont liées à nos travaux.

Le fait de pouvoir former, et accompagner, de travailler en inter-établissements est un outil précieux. Aujourd’hui, on peut ainsi mesurer à quel point l’idée que nous défendons se vérifie concrètement et combien la qualité de vie au travail et les questions de performance sont intimement liées. Qui plus est, le secteur social et médico-social touche au cœur de l’humain. Cela signifie que dès lors qu’on améliore la qualité des conditions de travail, on améliore la qualité de service et donc la qualité de vie des résidents, usagers, patients.

Pouvez-nous parler de vos démarches QVT dans ces secteurs ?

Nous travaillons dans la concertation, afin que tout un chacun puisse donner son point de vue et échanger. Cela signifie que de façon systématique, nous avons réuni sur plusieurs établissements, un représentant des ressources humaines, un cadre administratif et un représentant du personnel soignant pour chacun.

Nous les accompagnons entre 1 et 2 ans afin de créer avec eux les conditions de l’implantation d’actions concrètes mais aussi d’instituer un dialogue entre toutes les parties prenantes. Par la suite, nous nous intéressons au retour d’expériences de l’établissement dans sa globalité, en lien avec le terrain, les décideurs qui mettent en place les démarches QVT. Nous sommes sur de l’évaluation qualitative et non quantitative.

Il y a quatre ans, nous avons en outre dans le cadre d’un partenariat lancé à la demande de la DGCS, le réseau Anact-Aract et les ARS ont mené un vaste programme d’actions collectives à destination des établissements médico-sociaux, qui concernent les personnes vulnérables qu’elles soient âgées ou en situation de handicap. 277 structures se sont ainsi mobilisées entre 2018 et 2020 sur l’ensemble du territoire français, dans des Actions collectives innovantes et apprenantes (Acia) dans le but d’améliorer leurs conditions de travail.

À l’issue de ce vaste programme, un guide pratique « Démarche Qualité de vie au travail dans les établissements médico-sociaux », et des ressources associées, fruit de ces expériences de terrain visant à instaurer de nouvelles démarches Qualité de vie au travail a été diffusé auprès des établissements médicosociaux par notre réseau Anact-Aract, la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), et par les Agences régionales de santé (ARS).

Il permet ainsi de préparer les démarches QVT, de s’inspirer des témoignages, et de mettre en place concrètement une démarche pérenne.

Il s’appuie en effet sur du vécu et a été construit à partir des retours d’expériences des professionnels sur leurs initiatives et démarches d’adaptation de l’organisation du travail, créative, attentive des remontées de terrain, de décloisonnement des approches. Ces démarches ont ainsi été menées dans différents domaines, allant de la gestion des plannings, à de nouvelles démarches de management en passant par des approches dans l’accompagnement des changements, ou encore la conduite de projets architecturaux et de transition numérique.

Nous avons pu plus que jamais mesurer la pertinence de ces démarches QVT, pendant la crise sanitaire, qui a plus que jamais témoigné à la fois de la souffrance au travail de ces professionnels tout autant que de leur rôle majeur dans la vie d’une société solidaire et inclusive. En deux années, en lien avec la crise sanitaire, le nombre de démissions a été important, tandis que les reconversions sont de plus en plus fréquentes. La société a été confrontée à une démotivation au travail dans ces secteurs d’ores et déjà en tension et dont le niveau d’activité va en grandissant.

Nous savons avec certitude que certains repères permettant de mener des démarches QVT vise à améliorer la fidélisation du personnel, limiter l’absentéisme, prévenir le turnover ou encore accompagner les projets de changement, à donner un vrai sens ou à le redonner à ces métiers si essentiels à un système de soins de qualité pour les usagers.

Quelles sont vos prochaines échéances ?

Nous sommes bien évidemment mobilisés autour de l’accompagnement de ces secteurs du social et du médical, avec des travaux en cours concernant la protection de l’enfance ou encore le Grand Age et l’autonomie.

Un nouveau concept a émergé, témoignage du lien étroit entre la qualité de vie au travail et la qualité du soin. Dans les faits, la qualité des conditions de travail est un dû pour celles et ceux qui dédient leur vie aux autres.

Pour prendre soin de l’autre, il faut aussi prendre soin de l’institution et de chaque professionnel. La QVT est un maillon indispensable de cette visée.