Acteurs de l’ESS, partenaires clés du travail de l’ANCT et des projets des territoires

Entretien avec

Stanislas Bourron, Directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires

« Les liens entre la cohésion sociale territoriale et l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) sont naturels et étroits : en se situant au croisement du social et du solidaire, du local et de l’économique, l’ESS a le potentiel d’offrir des solutions innovantes ainsi que des réponses adaptées aux spécificités des publics et des territoires, notamment les plus fragiles. »

Vous êtes Directeur Général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), créée par la loi du 22 juillet 2019. Pouvez-vous nous rappeler ses missions ?

Créée par la loi du 22 juillet 2019, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est mise en place le 1er janvier 2020. Née de la fusion du Commissariat général à l’égalité des territoires, de l’Epareca et de l’Agence du numérique, elle est un partenaire incontournable pour les collectivités locales.

L’Agence marque une transformation profonde de l’action de l’État : les préfets, délégués territoriaux de l’ANCT, sont en lien constant avec les collectivités territoriales pour accompagner leurs projets de territoires. L’ANCT intervient en subsidiarité et assure un rôle de « fabrique à projets » pour permettre à toutes les collectivités locales de mener à bien leurs ambitions de façon concrète.

Depuis votre nomination en décembre 2022, vous n’avez eu de cesse de rencontrer les élus et acteurs locaux. Quelles sont leurs attentes ?

Les élus ne sont pas seulement au cœur des projets, ils en sont à l’initiative. Sans élus, il n’y a pas de projet. Nous sommes là pour les accompagner au quotidien grâce à nos délégués territoriaux.

J’ai pu en rencontrer un certain nombre lors de mes déplacements effectués avec le président de l’Agence, Christophe Bouillon (plus de trente). Même si des disparités se ressentent entre les territoires, il y a un socle commun : une meilleure lisibilité sur l’aide que peut leur apporter l’État, un accompagnement sur-mesure (ce que nous proposons à l’ANCT) et bien sûr des moyens pour réaliser leurs projets.

Les acteurs locaux (associations, partenaires institutionnels – l’ANCT travaille main dans la main avec l’ANAH, l’ANRU, le CEREMA, la Banque des Territoires et l’ADEME – services déconcentrés de l’État) les accompagnent de façon quotidienne et assidue dans la réalisation concrète de leurs projets de territoires que cela soit dans un quartier prioritaire de la ville (QPV), une ville moyenne ou en ruralité.

Quels constats avez-vous pu faire quant aux liens entre cohésion sociale territoriale et ESS sur le terrain ?

Les liens entre la cohésion sociale territoriale et l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) sont naturels et étroits : en se situant au croisement du social et du solidaire, du local et de l’économique, l’ESS a le potentiel d’offrir des solutions innovantes ainsi que des réponses adaptées aux spécificités des publics et des territoires, notamment les plus fragiles.

Dans le contexte des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), les initiatives menées par les acteurs de l’ESS sont primordiales pour favoriser la cohésion sociale dans de nombreux secteurs, que ce soit par leur objet même, comme la médiation sociale, mais également en facilitant le partage, l’échange et en renforçant les liens sociaux ainsi que le pouvoir d’agir des habitants.

Les entreprises relevant de l’ESS, du fait de leur ancrage territorial, de leur mission sociale affirmée et de leur engagement dans l’insertion par l’activité économique et la lutte contre l’exclusion, jouent un rôle crucial dans ces quartiers prioritaires. Elles contribuent à l’économie locale (création d’emplois, services, commerces, etc.) et au renforcement de la cohésion sociale de ces quartiers, notamment par le biais de la médiation sociale, de l’animation socio-culturelle ou du sport.

Fondamentalement, de par leur objectif social et de la structure de gouvernance particulière des entités de l’ESS, ces entreprises proposent des biens et services là où le marché traditionnel ne répond pas spontanément, souvent par manque de rentabilité potentielle des secteurs (manque de solvabilité ou manque de quantité potentielle pour structurer un marché).

Dans les territoires ruraux, caractérisés par une faible densité démographique et parfois, bien que pas systématiquement, par une faible capacité financière des populations, l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) a une pertinence toute particulière. Une étude comme TRESSONS* souligne que, en termes de chiffre d’affaires et de part des effectifs employés, l’ESS représente 2 à 3 points de pourcentage de plus que la moyenne nationale dans ces territoires.

La particularité de la gouvernance des structures de l’ESS, qui associe les usagers, les salariés et les décideurs permet aussi un dialogue et une prise en compte attentive des besoins, ce qui constitue une source essentielle de cohésion sociale.

Certains secteurs y sont-ils dominants ?

L’Économie Sociale et Solidaire (ESS) propose une offre de services de proximité et se déploie dans une vaste gamme de secteurs. Son spectre d’activités s’étend de la production à la consommation de biens et de services, incluant la transformation, la distribution, et les échanges dans une multitude de domaines.

Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), l’ESS est souvent positionnée plus favorablement sur certaines activités par rapport au secteur privé lucratif. C’est le cas pour l’action sociale et médico-sociale, la culture, le sport ou l’éducation populaire**.

Dans ces territoires de « pauvreté concentrée », subissant une déqualification et une stigmatisation, elle joue un rôle de substitution de l’offre privée (et parfois publique) classique, elle contribue à créer de l’emploi et de l’activité économique et permet ainsi de dynamiser le territoire et d’offrir une certaine qualité de vie pour les habitants.

Il est important de signaler que l’ESS représente 17% de l’emploi total des QPV et plus du quart, soit 27%, de l’emploi privé (contre 10% de l’emploi total et 14% de l’emploi privé sur l’ensemble du territoire national), elle est parfois le seul employeur du quartier.

Très majoritaires par rapport aux autres familles de l’ESS, les associations le sont encore plus en QPV, puisqu’elles représentent nationalement 89,2% des établissements employeurs de l’ESS situés dans un QPV, soit 5,9 points de plus qu’en France entière (83,3%).

En milieu rural, l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) compte des acteurs dans tous les secteurs économiques, y compris des domaines industriels. Certains secteurs, en particulier le service à la personne (aide aux personnes âgées, portage de repas à domicile, soutien à l’enfance, etc.), la culture et le commerce, sont fortement représentés par des entités relevant de l’ESS (associations, mutuelles, etc.).

Prenons par exemple le secteur du commerce : les structures de l’ESS telles que Bouge ton coq, Bistrots de Pays, Comptoir de Campagne, les cafés associatifs, jouent un rôle prépondérant et offrent un soutien essentiel au maintien du tissu commercial en milieu rural. Ce constat d’une importance significative des structures de l’ESS dans le maintien du commerce rural a d’ailleurs été souligné dans le rapport de la mission Agenda rural de 2019.

Existe-t-il des différences importantes d’un territoire à l’autre ?

Chaque territoire a son histoire, ses potentialités et ses problématiques auxquelles cherchera à répondre l’ESS.

Au sein de la politique de la ville, les quartiers ne se ressemblent pas : certains sont densément urbanisés et issus des politiques de construction des grands ensembles d’après-guerre en périphérie urbaine, d’autres sont situés plutôt en centre-ville, par exemple au sein d’anciennes villes minières ayant connu la désindustrialisation massive dès les années 1960. Une étude réalisée par la CNCRESS et l’ONPV*** a montré que la géographie des établissements de l’ESS dans les quartiers prioritaires fait apparaître des spécificités. Les grandes régions ESS traditionnelles (Bretagne, Pays de la Loire, Occitanie) ne sont pas celles qui ressortent lorsqu’on étudie l’ESS dans les quartiers prioritaires. En revanche, on constate un poids très important de l’ESS dans les régions où la politique de la ville est importante, que ce soit en nombre de QPV ou en nombre d’habitants dans les QPV : Île-de-France, Hauts-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ce sont aussi dans ces régions que l’on constate une meilleure implantation de l’ESS par comparaison au reste du privé hors ESS.

La ruralité se caractérise aussi par une grande diversité et nous parlons d’ailleurs maintenant sémantiquement plutôt des « ruralités » (cf. étude Typologie des ruralités de l’ANCT en 2023)****. Les territoires ruraux ont des configurations très différentes y compris en termes d’âge moyen de la population, de pouvoir d’achat, d’organisation des flux avec les villes alentours ; et tout cela leur confère des trajectoires possibles très différentes face aux transitions en cours (numérique et environnementale, comme le montre l’étude précédemment citée).

Les territoires ruraux présentent ainsi des enjeux particuliers face aux transitions notamment environnementales du fait que les ressources nécessaires pour ces transitions (production agricole, eau, énergie, paysage, biodiversité, etc.) se trouvent principalement dans les territoires ruraux ; dès lors, ces territoires peuvent renouer avec une vraie contribution au projet national sans se sentir relégués mais bien intégrés. Tout l’enjeu de la cohésion territoriale est donc de bien réintégrer les territoires ruraux dans une vraie coopération et non juste dans une logique de fourniture de biens ou de services. Les acteurs de l’ESS qui jouent un rôle particulier et souvent avant-gardiste dans les transitions sont particulièrement outillés de par leurs fondamentaux (objet social, lucrativité limitée…) et de par leur gouvernance pour favoriser ces nouvelles formes de coopération.

Un certain nombre de problématiques se retrouvent entre les territoires urbains de la politique de la ville et les territoires ruraux. L’ESS a la possibilité d’y répondre dans différents domaines au cœur des cohésions entre territoires urbains et ruraux : alimentation (circuits courts, alimentation durable accessible à tous, etc.), mobilités (mobilités douces et/ou mutualisées des personnes et des marchandises), énergies (production des énergies renouvelables citoyennes), la gestion et la valorisation des déchets (ressourceries, réemploi textiles et alimentaires, etc.), filières de production locales, etc. Face à ces enjeux de résilience des territoires, les complémentarités et la cohésion entre les territoires apparaissent indispensables et doivent pouvoir être développées. C’est d’ailleurs tout l’objet de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) de contribuer à l’équité territoriale, et de favoriser les échanges et les bonnes pratiques entre tout type de territoire.

En accord avec ce point, l’ESS est un vecteur de rapprochement des territoires fragiles qui ont souvent des problématiques communes au-delà des apparences et peut jouer un rôle dans la réduction de la fracture territoriale et des clivages stéréotypés parfois établis entre zones rurales et urbaines ; de par sa gouvernance aussi, et son intervention sur des territoires fragiles, les acteurs de l’ESS et les collectivités engagées en ce sens (RTES par exemple) peuvent être facilitateurs dans la coopération interterritoriale sur des sujets comme l’alimentation, la mobilité et la santé.

*« L’économie sociale et solidaire dans les territoires ruraux » ; CNCRESS ; Juin 2019
**« Etat des lieux de l’économie sociale et solidaire dans les quartiers « politique de la ville» ; Julien Ramirez, ESS France ; 22 juillet 2022 ; Etat des lieux de l’ESS dans les quartier de la politique de la ville | Ressources | ESS France

***« Les entreprises de l’économie sociale et solidaire dans les quartiers « politique de laville » » Février 2018 ; CNCRESS et CGET ;
****« Étude sur la diversité des ruralités « Typologies et trajectoires des territoires » » Synthèsede l’étude – février 2023 ; Acadie et Magali Talandier