La Direction Générale du Trésor, mobilisée autour de l’ESS partout dans les territoires

Entretien avec

Emmanuel Moulin, Directeur général du Trésor

Financer l’économie a toujours été au cœur des missions de la DG Trésor. À ce titre, le suivi de la finance solidaire qui connaît un essor en France particulièrement depuis le début des années 2000 a toujours fait partie de nos prérogatives.

Pouvez-vous nous décliner les missions de la Direction Générale du Trésor ?

La Direction Générale du Trésor est une direction du Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Elle propose et met en œuvre, sous l’autorité des ministres, les grandes orientations de la politique économique et financière de la France aux plans national, européen et international.

Nous nous appliquons à agir au service d’une économie française innovante et inclusive pour une croissance durable, dans une Europe plus efficace face aux défis mondiaux. C’est toutes ces prérogatives qui sont déclinées au sein du Pôle Économie Sociale et Solidaire et Investissement à Impact (PESSII) du Trésor.

Quels sont ses grands axes et champs d’action ?

Pour les cinq années à venir, la Direction Générale du Trésor s’est dotée d’un projet stratégique, structuré autour de trois axes complémentaires :

1. Concilier le retour d’une croissance résiliente et solidaire, et la transformation verte de l’économie.

2. Allier soutenabilité des finances publiques dans un contexte de crise, efficacité économique et prise en compte des enjeux sociaux.

3. Réguler efficacement dans un monde multilatéral de plus en plus incertain.

Pour illustrer ces axes, une première action concrète a été la création à la rentrée 2023 d’une nouvelle sous-direction dédiée aux enjeux environnementaux afin de consolider l’intégration des préoccupations environnementales au sein de la direction.

La finance sociale et solidaire en faisait-elle partie avant le décret du 25 mars 2021 concernant le soutien et la promotion du développement de l’économie sociale, solidaire et responsable ?

La création en 2001 par le législateur français de l’épargne salariale solidaire et de l’agrément « entreprise solidaire », précurseur de l’agrément ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale) nous a conduit à renforcer le suivi spécifique de ces capitaux patients et à développer un cadre réglementaire ad-hoc.

En 2008 la loi est venue donner une nouvelle impulsion au développement de la finance solidaire en imposant à toutes les entreprises de proposer à leurs salariés la possibilité de souscrire à un fonds d’épargne salariale solidaire. En 2019, c’est au tour de la loi PACTE de mettre en place le même dispositif pour les contrats d’assurance vie solidaire. Plus récemment, les pratiques de capital investissement solidaire dites « à impact social » ou de « finance à impact » se sont multipliées, en France et en Europe.

La DG Trésor tient de ses missions historiques, bien avant le décret du 25 mars 2021, de veiller à la sécurité, pour les épargnants, de dispositifs tels l’épargne salariale, l’assurance vie ou encore l’investissement en fonds propres. Simplement, avec l’essor des pratiques et de la visibilité de la finance solidaire, il devenait logique que la spécificité des missions assumées par la DG Trésor dans le domaine de la finance solidaire soit consacrée dans les textes.

Comment intervient-elle aujourd’hui dans ce cadre tant à l’échelle nationale qu’internationale ?

Au niveau des territoires, dans le cadre de sa prérogative liée au développement de l’ESS, la DG Trésor s’appuie sur un réseau de correspondants régionaux de l’ESS répartis au sein des régions et départements d’Outre-mer et dont les missions sont : l’animation de l’action publique en faveur des acteurs de l’ESS dans les territoires, le déploiement des orientations et actions prioritaires impulsées par la Ministre, la transmission des informations régulières sur les difficultés, les freins à lever mais aussi les initiatives et les bonnes pratiques de l’ESS dans les territoires. Ils apportent une dimension interministérielle au développement de l’ESS en étant informés des actions conduites par les différents services déconcentrés en direction de l’ESS.

À l’échelle nationale, la DG Trésor assure le secrétariat de deux instances consultatives administratives présidées par la Ministre en charge de l’ESS. Ces instances permettent d’organiser le dialogue entre pouvoirs publics et acteurs de l’ESS (le Conseil supérieur de l’ESS) et acteurs du monde coopératif (le Conseil supérieur de la coopération). La DG Trésor apporte également un soutien financier aux associations et think-tanks œuvrant en faveur du développement de l’ESS et de l’investissement à impact social.

Au niveau international, la DG Trésor a directement contribué au mouvement de reconnaissance internationale de l’ESS, consacré par l’adoption de recommandations sur l’ESS en 2022 à l’OIT, à l’OCDE, et surtout l’adoption d’une résolution de l’assemblée générale des Nations Unies en avril 2023, proposant une définition commune de l’ESS entre les 193 États membres et invitant les États, les institutions des Nations Unies et les bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux à amplifier leurs efforts pour favoriser le développement de l’ESS.

La DG Trésor joue également un rôle moteur pour que l’ESS puisse se développer dans l’ensemble de l’UE et pour que ses structures soient mieux soutenues par les financements européens. L’adoption début octobre d’une recommandation du Conseil de l’UE, premier acte juridique de l’Union consacré à ce sujet, témoigne de cette dynamique et du rôle moteur du Trésor sur ce plan.

Qu’en est-il du pilotage national du dispositif de l’agrément « Entreprises Solidaires d’Utilité Sociale » (ESUS) et l’appui au développement des Contrats à Impact Social (CIS) ?

La DG Trésor joue un rôle moteur dans le développement d’un certain nombre de dispositifs, dont le pilotage de l’agrément ESUS et les contrats à Impact (CI).

L’agrément ESUS (« Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale ») vise à identifier au sein des entreprises de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) celles qui recherchent un impact social significatif soit en direction de publics vulnérables, soit en faveur de territoires économiquement fragilisés.

Ces entreprises ESUS doivent également respecter un certain nombre de critères définis dans la loi ESS de 2014 tels que la gouvernance démocratique, la constitution de réserves supplémentaires, la non admission des titres sur un marché boursier et la limitation de la rémunération des dirigeants. Ce dispositif est piloté au niveau national par la DG Trésor, en partenariat avec le ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion ainsi que le Ministère de l’Intérieur.

Le Trésor apporte un soutien à l’instruction des agréments ESUS délivrés par les services déconcentrés de l’État (DEETS/DREETS), développe le cadre réglementaire et suit les dispositifs fiscaux spécifiques en partenariat avec la Direction de la Législation Fiscale.

En parallèle, le Trésor a engagé un chantier de dématérialisation de la procédure d’agrément afin d’accompagner les structures dans le dépôt de leurs demandes d’agrément mais aussi afin de faciliter et d’unifier le travail d’analyse pour le réseau des agents instructeurs.

Le contrat à impact (CI) est un partenariat entre le public et le privé destiné à favoriser l’émergence de projets sociaux et environnementaux innovants et optimiser la dépense publique, en externalisant le risque de performance auprès d’investisseurs privés.

L’investisseur privé préfinance le projet et prend le risque de l’échec en échange d’une rémunération prévue d’avance en cas de succès. L’État ne rembourse qu’en fonction des résultats effectivement obtenus et constatés objectivement par un évaluateur indépendant.

Les équipes de la DG Trésor travaillent en étroite collaboration avec les autres ministères ayant lancé des contrats à impact (le Ministère du Travail pour leur budget, l’ADEME et le Ministère des Finances). Nous assurons cette coordination interministérielle pour garantir à la fois la rigueur de l’évaluation par l’accès aux bases de données administratives, et l’exigence de la doctrine par le transfert de risques aux investisseurs.

Aujourd’hui, c’est plus de 30 projets pour un montant total de plus de 80 M€ qui sont en cours de réalisation et sur lesquels nous assurons le suivi transversal.

Qui sont vos partenaires et relais sur l’ESS ?

En tant que mode d’entreprendre, l’économie sociale et solidaire est susceptible d’intéresser une grande variété d’acteurs, publics comme privés. À l’échelle internationale, la DG Trésor collabore avec diverses associations de promotion de l’ESS et développe avec certains États des coopérations particulières (par exemple avec l’Espagne, le Pérou ou le Québec).

Au plan national, la DG Trésor travaille ainsi en étroite collaboration avec d’autres administrations, par exemple la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), l’Agence Française de Développement, l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT) ou la Direction générale de la Cohésion sociale (DGCS). La DG Trésor peut également s’appuyer sur les travaux menés par les organisations qu’elle soutient financièrement.

À l’échelon territorial enfin, des correspondants régionaux à l’ESS concourent à la mise en œuvre des politiques de développement de l’ESS au sein des directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS).

Quels sont vos principaux défis ?

L’ESS propose un mode économique alternatif illustré tant par les entreprises appartenant statutairement à l’ESS (coopératives, mutuelles, fondations ou associations) que par les entreprises ou structures poursuivant une utilité sociale à lucrativité limitée. L’ESS par sa nature sociale, démocratique et non délocalisable, permet de promouvoir la notion d’engagement des collaborateurs, et la prise en compte de la responsabilité sociale et territoriale de l’entreprise.

Ce sont ces aspects que l’économie conventionnelle s’attache à développer. Ainsi, dix ans après la promulgation de la loi Hamon de 2014 qui a permis à l’ESS de gagner en reconnaissance institutionnelle, notre défi va être d’accompagner ses acteurs dans leur développement et de dresser des ponts entre ESS et économie conventionnelle afin qu’ensemble nous puissions réformer l’économie afin de répondre aux enjeux des transitions écologiques et sociales.

La nature multi-sectorielle de l’ESS nous conduira nécessairement à assurer la coordination de l’action du Gouvernement dans cet objectif.