Alors que la loi du 31 juillet 2014 conférait un statut à l’ESS et la reconnaissait comme « mode d’entreprendre et de développement économique », en définissait les principes communs et innovants de gestion et de gouvernance d’entreprise, force est de constater que près d’une décennie après, elle n’a pas encore exploité tous ses atouts et que l’ensemble des politiques publiques ne s’en sont pas encore suffisamment emparées.
Bien avant d’avoir cette dénomination, l’ESS existait dans nombre de communautés humaines, permettant toujours d’aller vers une société plus inclusive.
Mode d’entreprendre et de développement économique, dont les finalités et les principes de gestion la distinguent de l’économie conventionnelle, elle a su témoigner depuis longtemps d’un véritable pouvoir transformateur pour le bien commun.
Loin d’être une douce utopie, elle sait s’inscrire résolument dans le soutenable et le développement durable, en s’emparant de tous les sujets sociétaux.
Si l’ESS est pour beaucoup le devenir de l’Économie, il lui reste encore nombre de défis à relever afin de développer toutes ses potentialités.
Vous êtes Président d’ESS France. Pouvez-vous nous rappeler ses missions et champs d’action ?
ESS France, Chambre Française de l’Économie Sociale et Solidaire, est la voix française de l’Économie sociale et solidaire. Elle la fait retentir partout où elle peut la défendre et la porter, à la fois pour défendre les intérêts des entreprises et organisations de l’ESS qu’elle représente, mais aussi pour favoriser son développement et convaincre le plus grand monde d’y adhérer.
Aujourd’hui, ESS France fédère l’ensemble des organisations nationales de l’ESS, quelle que soit leur forme statutaire, qu’il s’agisse des associations, des mutuelles, des coopératives, des fondations, ou encore des sociétés commerciales et entrepreneurs de l’ESS.
Ses missions sont bien évidemment en lien direct avec les intérêts et aspirations de ses membres, telles que définies par nos statuts. Il nous incombe ainsi de promouvoir l’ESS et ses modèles au niveau national, tant auprès des pouvoirs publics que du grand public, et sommes mobilisés autour du soutien à la création, la consolidation et le développement des structures de l’ESS.
Nous travaillons en continu avec l’ensemble de nos membres et partenaires afin d’adapter les outils tant aux mutations sociétales qu’aux spécificités de chacun.
Promouvoir l’ESS, c’est aussi favoriser sa déclinaison dans l’ensemble des territoires. Pour ce faire, ESS France soutient, anime et coordonne le réseau des chambres régionales (CRESS), qui nous fournissent notamment des données économiques et sociales et données qualitatives, nous permettant d’appréhender les tendances sur les territoires. Tous les retours d’expérience locaux sont précieux. Ils nous permettent de nourrir notre réflexion au niveau national, nous portons aussi la voix de l’ESS en Europe et sur la scène internationale.
En quoi êtes-vous un interlocuteur privilégié des instances étatiques ?
Il est un cadre strictement légal. La loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, a d’emblée reconnu ESS France, qui existait depuis plusieurs décennies, comme structure représentative de l’ensemble de l’Économie Sociale et Solidaire. Elle a en outre posé le cadre de nos missions dans l’article 5. En toute logique, nous sommes bien évidemment membre du Conseil supérieur de l’ESS, organe de concertation avec le gouvernement. Nous travaillons donc étroitement avec les instances étatiques.
Vous êtes la « voix de référence de l’ESS ». Cette voix a-t-elle besoin aujourd’hui, près de 10 années après la loi ESS, de résonner davantage, notamment par le biais d’un plaidoyer ?
Je crois qu’il est bon de réaffirmer ce qu’est l’ESS afin d’éviter les confusions. La première chose, que tout un chacun doit intégrer, c’est qu’elle n’est en aucun cas une économie de seconde zone, mais une économie à part entière. Loin de n’être qu’un secteur, l’ESS est un mode entrepreneurial qui participe pleinement de l’économie à travers des secteurs multiples et variés, et contribue à la recherche d’un intérêt collectif voire général. Elle est une démarche entrepreneuriale permettant de réaliser l’idéal républicain et à notre contrat social.
Afin d’être efficient dans la promotion l’ESS, il est essentiel de rappeler d’une part ce qu’est l’économie sociale et solidaire, mais aussi de préciser qui la représente, afin d’éviter les confusions de genre.
Le plaidoyer est ainsi un moyen de réaffirmer le rôle majeur de l’ESS dans l’économie et de rappeler quel rôle elle est à même de jouer dans la construction de l’avenir, en participant activement des fondations d’une société plus juste, responsable et durable.
Parallèlement, pour construire cette société, il est indispensable de faire adhérer le plus grand nombre à l’ESS, de la rendre encore plus attractive, d’inciter les plus jeunes à entreprendre ou s’engager dans cette forme d’économie qui révolutionne quelque peu les normes, en y faisant dominer des valeurs profondément humanistes, qui loin d’être dépassées construisent le futur et un monde meilleur.
De même, il est essentiel pour que subsiste la dynamique de l’ESS, qu’elle soit toujours en pleine adéquation avec les nouveaux enjeux et défis qu’imposent en continu les mutations sociétales et écologiques. Pour ce faire, toutes les organisations qui en font partie doivent en permanence s’adapter et se renouveler.
L’ESS est à l’opposé d’une démarche figée dans un cadre qui n’évolue pas, coupé du monde. L’une de ses particularités et de ses forces est précisément d’être toujours ouverte sur l’extérieur, à l’écoute les besoins humains afin de répondre au plus près de ces exigences d’une société éthique et inclusive, ou encore de la planète que nous voulons offrir aux générations futures.
Précisément quelles ont été les évolutions du développement de l’ESS en France ?
L’Économie Sociale et Solidaire est née bien avant la loi de 2014. On la retrouve sous des formes multiples et variées dans l’histoire des sociétés, à partir du moment où certains individus tentent de répondre avec une approche économique différente à des besoins sociaux que la collectivité ignore ou tout du moins ne prend pas en charge. Depuis plus de deux siècles, certains ont ouvert la voie à cette démarche économique particulière.
L’évolution de l’ESS suit naturellement les mutations sociétales. Plus encore, il est évident qu’elle est elle-même à l’origine de nombre de ces mutations ou progrès sociaux, apportant des réponses que le législateur fera siennes plus tard.
Certaines organisations comme les mutuelles ou les coopératives, font véritablement figure de pionnières. Elles créent de nouvelles approches, qui placent l’humain au cœur de la démarche économique et deviendront au fil du temps des acquis. Ainsi, lorsque les mutuelles de santé prennent l’initiative de permettre aux personnes malades de bénéficier d’un revenu de remplacement et favorisent l’accès aux soins quelles que soient leurs ressources, elles s’inscrivent déjà dans les fondamentaux de l’ESS.

De la même façon, lorsque les assurances mutualistes font le choix d’assumer les risques pour des personnes a priori « non rentables », qui habituellement se voyaient généralement refuser la protection contre les accidents ou l’incendie, elles ouvrent d’emblée le champ d’une forme d’économie nouvelle au profit de l’humain.
Les banques coopératives, quant à elles, en permettant à celles et ceux, auxquels les banques traditionnelles refusent habituellement des crédits, d’y accéder, ouvrent aussi le champ de la finance solidaire qui s’inscrit pleinement dans les valeurs que porte l’ESS.
L’ESS, que ce soit par le biais des mutuelles, des banques, des associations, des coopératives, des entreprises d’insertion, ou encore des épiceries solidaires, apporte ainsi des réponses aux lacunes ou défaillances de l’action publique et du marché. Elle agit de longue date pour apporter des solutions solidaires à des personnes dans des situations de vulnérabilité, en éloignant autant que possible la prédation financière.
Peu à peu, elle a gagné tout le champ des possibles, prouvant qu’une logique économique peut répondre à tout besoin social dès lors qu’elle est solidaire et respectueuse de l’Humain, et désormais de la Nature. Ce n’est qu’un début.
L’ESS est présente partout et dans tous les secteurs. Vous avez ainsi des coopératives dans des grandes enseignes agro-alimentaires ou des importantes associations sportives, qui contrairement aux idées reçues qui perdurent sont extrêmement rentables et font des profits, preuve si besoin en était qu’elle est une économie qui crée de la valeur ajoutée et peut être un formidable levier économique inépuisable.
En effet, elle concerne tous les champs sociétaux d’aujourd’hui et façonnent ceux de demain, qu’il s’agisse de l’égalité femmes-hommes, de la création d’une société inclusive en tout lieu et toute circonstance ou encore de la transition énergétique. L’ESS porte en elle les valeurs républicaines et s’adapte inlassablement aux besoins émergents de la société.
La pandémie a mis en exergue les lacunes de l’économie traditionnelle, mais a aussi révélé les atouts de l’ESS. Elle a ainsi témoigné de sa capacité à la fois à être en harmonie avec les besoins d’une société dans laquelle la solidarité n’est pas un vain mot, mais aussi à mobiliser les acteurs et outils de l’ESS pour qu’ils apportent des solutions rapides et quasi-immédiates dans une situation complètement inédite et nouvelle.
Si l’ESS est bel et bien une autre approche de l’économie qui tient compte des besoins humains et de la planète, elle n’en est pas moins soutenable. Elle ne s’arrête bien évidemment pas aux frontières de l’Hexagone. Elle est aussi l’avenir de l’Europe, qui se doit de faire évoluer son cadre juridique.
L’Hexagone est-il bon élève sur ce sujet ?
La France est incontestablement un leader en Europe mais aussi dans le monde en termes d’Économie sociale et solidaire aux côtés d’autres pays européens moteurs comme le Portugal ou l’Espagne, ou sur la scène internationale comme le Québec ou certains pays d’Amérique du Sud.
Cela n’est guère étonnant. En effet, notre pays possède une longue tradition sociale et républicaine sur ces sujets en lien direct avec ses valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité. Les fondements de l’ESS reposent sur notre triptyque républicain.
Il est ainsi question de liberté de s’associer pour agir, d’égalité entre les parties prenantes pour décider et posséder, de fraternité de l’action collective et des finalités. L’ESS est ainsi une part de l’ADN de la France. Il est donc naturel qu’elle apporte son en Europe mais aussi sur la scène internationale.
Quelles sont les lacunes de la France concernant l’ESS ?
L’adoption de la loi en 2014 a donné un nouvel élan, conféré un statut et une définition à l’ESS. Cependant, les politiques publiques qui ont été menées ne se sont pas suffisamment appropriées l’ESS et ont été insuffisantes.
En effet, si l’ESS permet d’apporter des réponses multiples, adaptées et innovantes, aux enjeux sociaux et environnementaux pour le bien commun, elle nécessite une pleine adhésion, une approche pluridimensionnelle et transversale, afin d’influencer et d’imprégner l’ensemble de la sphère économique. Nous sommes aujourd’hui à un tournant, qu’il nous faut toutes et tous amorcer intelligemment.
C’est la raison pour laquelle nous avons engagé nous-même le chantier de refondation d’ESS France afin notamment que soient pleinement associés l’ensemble des acteurs de l’ESS du territoire dans leur ensemble, de tous ses entrepreneurs, y compris ceux qui n’ont pas le statut classique d’entreprises commerciales, comme les coopératives ou encore les groupes mutualistes, mais qui sont de véritables moteurs pour cette économie.
Ce tournant impose que nous coordonnions et rassemblions davantage les différents profils que regroupe l’ESS afin de créer un ensemble parfaitement cohérent, qui parle d’une seule voix et se fixe des objectifs communs, afin que l’ESS se développe toujours davantage.
Quels sont selon vous les défis, enjeux et perspectives de l’ESS en France ?
L’ESS positionne l’humain au cœur de toute chose et notamment au sein de l’économie.
Elle nous concerne toutes et tous, individuellement et collectivement, où que nous soyons, qui que nous soyons, qu’il s’agisse de nos comportements, de nos engagements ou de nos organisations.
L’ESS est une démarche économique qui nous permet d’envisager l’émergence d’une société résolument inclusive et humaine.
L’ESS, avant même d’obtenir son statut législatif a déjà remporté de nombreuses batailles pour le bien commun, contribué à d’importantes mutations et progrès sociétaux.
Il nous incombe de fédérer et rassembler davantage autour d’elle, de la développer, de la rendre plus attractive encore pour bâtir le monde auquel nous aspirons. L’ESS possède un pouvoir éminemment transformateur pour le bien des sociétés humaines.
Il nous incombe d’en exploiter tous les atouts et potentiels car elle dessine incontestablement notre avenir et celui des générations futures. Ce défi et ces enjeux sont immenses et nous obligent.






