Au cœur de l’âme franco-monégasque

Entretien avec

Christophe-André Frassa, Sénateur représentant les Français établis hors de France, Président du groupe d’études Arctique, Antarctique et Terres australes, Vice-président de la Commission des Lois Constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d’Administration Générale, Membre de la Commission des Affaires Européennes, Président de la Commission Politique de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF)

Élu de 1994 à 2008, au Conseil Supérieur des Français de l’étranger, devenu l’Assemblée des Français de l’étranger, qu’il représente toujours au Sénat, Christophe-André Frassa, en tant que sénateur des français établis hors de France, dédie sa vie à ses compatriotes vivant à l’étranger, allant inlassablement à leur rencontre de par le monde, portant leur parole dans l’hémicycle, défendant leurs intérêts auprès des plus hautes instances de l’État, résolvant au fil du temps, équations et problématiques complexes.

Ses liens avec la Principauté de Monaco ont quant à eux une tonalité toute particulière. Enfant du pays, viscéralement attaché à la France tout autant qu’à la Principauté, son âme, loin de se déchirer, entre deux États, deux Nations, deux peuples, porte les couleurs franco-monégasques, y compris lorsqu’il s’agit de s’engager pour la protection de la planète comme Président du groupe d’études Arctique, Antarctique et Terres australes au Sénat. À jamais, il s’émerveille des dorures du Palais du Luxembourg, y découvrant toujours un nouveau détail. À jamais la Méditerranée que surplombe le Rocher, entre rues et ruelles montantes, tours et détours, chemins de traverses monégasques, s’ouvrent à celui toujours en quête de nouveaux secrets qui n’en a pas fini de s’émouvoir des beautés de la nature et de l’humanité.

Depuis plus d’une décennie, vous êtes Sénateur des français établis hors de France et portez notamment la voix de ceux de la Principauté de Monaco. Quels ont été les axes majeurs de vos mobilisations ?

Je suis Sénateur des français établis hors de France. Cela implique bien évidemment que mes engagements ne sont pas exclusivement dédiés à ceux qui vivent dans la Principauté.

Qui plus est, les français de l’étranger, qui partagent souvent des valeurs communes, comme l’attachement très profond à la France, sont aussi confrontés à des difficultés similaires à l’exemple des problématiques de fiscalité, qui sont à l’opposé de l’idée fausse et trop souvent répandue qu’ils ne paient pas d’impôts en France.

Pour plus de la moitié, c’est une hérésie, puisqu’ils ont même une double imposition. Je citerai aussi les limites de leur droit à la prise en charge de soins dans le cadre d’un court séjour en France, ou encore les problématiques de scolarisation des enfants dans les lycées français. Sur tous ces sujets, il va de soi que je ne cesse de me mobiliser et de défendre les intérêts de l’ensemble des français de l’étranger.

De la même façon, alors que nos compatriotes participent fièrement du rayonnement de la France à l’étranger, et qu’ils sont citoyens français également, ils sont peu présents dans la vie politique avec un pourcentage d’électeurs mobilisés très insatisfaisant.

Il est vrai que notre pays connaît une grande désaffection pour les élections en général, comme en témoignent les chiffres importants de l’abstention, mais il est aussi des situations qui sont de vrais freins à toute mobilisation. En effet, en dépit du vote électronique qui comptent encore de nombreuses lacunes, si les électeurs dans l’Hexagone sont au grand maximum à quelques centaines de mètres du premier bureau de vote, pour certains français de l’étranger, nous ne parlons pas en mètres mais en kilomètres.

Cette problématique, n’est bien évidemment pas de mise dans la Principauté. En effet, il est pour chaque territoire des problématiques spécifiques, en lien avec sa situation géographique, économique ou encore sociale.

Il va de soi que mes engagements aux côtés des français de la Principauté revêtent un caractère particulier puisque je suis un enfant du pays, mais je mets un point d’honneur à me mobiliser pour toutes et tous, quel que soit le lieu d’expatriation à l’étranger.

Qu’en est-il de vos engagements dans le cadre des français établis dans la Principauté de Monaco ?

J’ai longtemps participé à la mobilisation concernant la reconnaissance des Enfants du Pays. Au quotidien, pour les monégasques eux-mêmes, cela n’était pas une vraie problématique.

Nous avions fréquenté les mêmes écoles, les mêmes lycées, avons grandi côte à côte et ensemble, nos aïeux avant nous et nos enfants après nous. Officieusement, nous avons toujours été reconnus.

En 1999, lorsque je me suis permis d’alerter le prince Rainier III sur la situation des Enfants du Pays, sa réponse avait été sans appel : « Tous ceux qui sont nés ou ont vécu à Monaco doivent savoir qu’ils y ont droit de cité et que la Principauté tiendra toujours compte de l’attachement qu’ils lui portent. » et le Prince Albert II confirmerait cette vision après lui.

En 2005, j’esquissais l’idée d’un statut et d’une définition. Mais passer de l’officieux à l’officiel, du personnel au législatif prend toujours du temps.

Ainsi, ce n’est que le 30 juin 2021, que les membres du Conseil National ont voté lors de la séance publique législative le projet de loi n°933, qui sera promulgué le 2 juillet suivant, portant reconnaissance des « Enfants du Pays » et de leur contribution au développement de la Principauté de Monaco avec comme article unique : « Est ainsi “Enfant du Pays” toute personne de nationalité étrangère née à Monaco ou adoptée à Monaco lors de sa minorité, qui y réside depuis sa naissance ou son adoption sans interruption. »

Cette avancée législative est bien évidemment importante, mais il reste d’autres sujets de mobilisation. Certains concernent ainsi tous les français à l’étranger, à l’image des problématiques de fiscalité.

Le fait que la communauté française doive payer des impôts à la France, la rend qui plus est moins compétitive, ce qui est dommageable. Afin de faire évoluer ces problématiques de fiscalité, il est important qu’une prise de conscience réaliste et durable s’opère de la part des institutions, loin d’un simple moratoire, afin de mettre un terme à cette injustice. Peu à peu, l’idée semble faire son chemin.

Il est bien évidemment un sujet assez spécifique à la Principauté qui concerne l’accès au logement protégé pour les Enfants du Pays et auquel les législateurs monégasques, soucieux de trouver un véritable équilibre entre le droit au logement des enfants du pays et la légitime demande de jouissance de leurs biens pour les propriétaires, sont favorables.

Cependant, il va de soi que la superficie du territoire ne permet pas de répondre à tous les besoins. Afin d’apporter des solutions, la Principauté est prête à financer des constructions dans les communes avoisinantes françaises, mais nous sommes confrontés à un véritable casse-tête législatif, puisqu’elles sont quant à elles, soumises à un quota de logements sociaux. Je ne doute pas que le législateur français finira par trouver une issue favorable.

Il est un autre sujet sur lequel nous avons avancé au fil des ans avec la signature d’accords entre la Principauté et la France. Je veux ici évoquer le télétravail. Nous nous avons pu en mesurer pleinement l’efficience durant la pandémie pour nos deux pays.

Sur tous les sujets que je viens d’aborder, il me semble important de rendre hommage à tous ceux qui s’en sont emparés en France et dans la Principauté, les ont portés de toutes leurs forces et ont permis des avancées significatives.

Je veux ainsi notamment saluer la mobilisation sans faille de Stéphane Valeri, que soit lorsqu’il était Conseiller du Gouvernement pour les affaires sociales ou la santé, ou Président du Conseil National.

Son engagement inconditionnel a permis des avancées spectaculaires. Je ne saurais non plus oublier le très regretté Jean-Claude Guibal, acteur inlassable des relations franco-monégasques.

Quelle est votre histoire familiale avec la Principauté ?

Je représente la quatrième ou cinquième génération née à Monaco. La guerre franco-allemande de 1870, a ainsi poussé mes aïeux maternels alsaciens à immigrer, ici, en bordure de Méditerranée. Cela peut paraître étrange à certains, mais il y a une communauté d’origine alsacienne non négligeable dans la Principauté. Quoi qu’il en soit, c’est ici qu’ils se sont arrêtés.

Puis suivra la famille de mon père. Cela fait donc plus de 130 ans que mes ancêtres se sont installés en terre monégasque, dessinant le destin des générations futures. Alors, me direz-vous, pourquoi ne pas avoir aujourd’hui la nationalité monégasque ?

Certains membres de ma famille l’ont bien évidemment aujourd’hui. J’ai grandi aux côtés et avec les monégasques, été au lycée Albert Ier comme tout un chacun. Je suis viscéralement attaché aux deux pays et états.

Me demander de choisir entre l’un ou l’autre, c’est comme m’écarteler entre mon père et ma mère, alors que tout peut cohabiter en harmonie, s’enrichir l’un l’autre.

J’aime à dire que ma patrie est la France et mon pays, la Principauté.

Je ne suis pas entre les deux, mais avec et au cœur des deux. Cela me permet d’appréhender l’ensemble des différences, tout autant que d’avoir une approche globale, de défendre les intérêts de la France tout autant que de Monaco et de pouvoir faire avancer nombre de sujets essentiels, en recherchant les consensus et la synergie qui existent déjà au fond de moi.

Vous avez longtemps été Président du groupe d’amitié France-Monaco au Sénat. En quoi ce groupe a-t-il fait avancer nombre de sujets ?

Comme je l’ai indiqué, au fil du temps, nombre de sujets ont pu évoluer, et il est évident que c’est la mobilisation de toutes et tous, que ce soit en France ou dans la Principauté, au niveau institutionnel, parlementaire ou associatif qui a permis des avancées significatives.

Nous avons avancé de concert, condition essentielle de tout consensus. Si je reste Président d’honneur, je suis heureux que Dominique Estrosi-Sassone en soit aujourd’hui Présidente. Elle connaît plus que nulle autre l’ensemble des sujets qui préoccupent les français et les monégasques, notamment concernant les liens ténus qui coexistent entre la Principauté et le territoire azuréen.

Elle a immédiatement insufflé une belle dynamique dans les relations franco-monégasques, s’emparant dès sa nomination de problématiques essentielles, en lien permanent avec des acteurs majeurs de la Principauté. Elle porte une vraie vision du destin commun qui unit la Principauté et la France.

Vous êtes aujourd’hui Président du groupe d’études Arctique, Antarctique et Terres australes. Y a-t-il des liens avec la Principauté ?

Il me paraît évident que toutes celles et tous ceux qui ont grandi dans la Principauté ont toujours porté une attention particulière avec la protection de la Planète et des Océans. Le Prince Albert II lui-même, digne héritier de son aïeul Albert Ier en est un ambassadeur, mondialement connu.

Le groupe d’études du Sénat « Arctique, Antarctique et Terres australes » est un groupe actif, qui loin de l’hémicycle se déplace sur le terrain. La dernière délégation en date, entre le 29 septembre et le 3 octobre 2019 s’est ainsi rendue dans les Îles Éparses, situées dans le canal du Mozambique. Administrées par la France depuis plus d’un siècle. Elles font en effet partie des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) ainsi que des territoires d’outre-mer.

Si elles ne représentent qu’une surface terrestre cumulée de 43 kilomètres carrés, leurs eaux territoriales s’étendent sur 640 400 kilomètres carrés, soit environ 6 % de la zone économique exclusive (ZEE) française.

Espace unique au monde, elles n’ont jamais été habitées, et sont un bien précieux pour la recherche scientifique. Il nous convient plus que jamais de les étudier pour mieux les protéger. Convoitées par certaines puissances étrangères, la France n’a de cesse de veiller sur elles.

Cette mission passionnante dont j’ai aujourd’hui la présidence, embrasse tous les champs de la protection de la planète, des océans, de la biodiversité, ces sujets sur lesquels la Principauté a toujours été pionnière. De fait, il n’est point de hasard si le Prince Albert II de Monaco s’est lui-même rendu dans les Îles Éparses avec une délégation dans le cadre d’une visite à caractère scientifique en 2017.

Il sait la richesse de ce patrimoine naturel, l’un des derniers sanctuaires de biodiversité tropicale de l’océan Indien occidental, par essence fragile et les immenses enjeux à la fois de conservation mais aussi de recherche.

Le groupe d’études Arctique, Antarctique et Terres australes est pleinement mobilisé autour des grands défis que représentent ces territoires presque vierges et à sauvegarder. Il nous faut aller toujours plus loin à leur rencontre, quitte à passer des semaines en mer, à prendre l’Astrolabe, pour percer leurs secrets et mieux les protéger.

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